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Carnet fourre-tout d'une autrice théâtreuse

Potion magique contre les harceleurs

Découpez en petits morceaux une bite-de-chien (attention, il s’agit d’un champignon. Ne pas confondre.)

Ajoutez un satyre puant, un tricholome sordide et une vesse-de-loup fétide.

Portez à ébullition dans un chaudron d’eau puis laissez macérer toute une nuit.

Préparez une décoction de queue-de-scorpion, oreille-de-rat et oreille-d’homme.

Mélangez les deux mixtures. Versez la potion ainsi obtenue dans un flacon pulvérisateur.

À l’aide d’un pilon, réduisez en poudre un cœur-de-sorcière, un téton-de-sorcière et une poule-des-bois, puis enfermez la poudre dans un médaillon orné d’une feuille de flamboyant.

Si un homme vous importune, aspergez-le de potion puis tournez les talons en agitant votre médaillon flamboyant.

Vous pouvez ensuite invoquer les esprits de la théobromine pour vous réconforter.

Gris de paysage

Une trouée espace les images

L’arête des montagnes se découpe bleue

Cabane contre le ciel

Un ciel dense et taiseux

Sur la campagne grêle

Les champs frissonnent comme ma chair de poule

Dans une brise de linge mouillé

Qui porte l’empreinte d’une odeur de pluie

Les nuages se poursuivent et s’écroulent

Encore froissés et déchirés

C’est la fin de la nuit

La lumière est venue d’une blancheur de ciel

Clairière de soleil contre mes tempes

Sa chaleur coule jusqu’à mes reins

La lumière s’est levée et avec elle

Les animaux qui volent courent et rampent

Moi, je salue mon dernier matin.

Je vais

 

[Version française de I will]

 

J’ai lavé mes cheveux

J’ai brossé mes dents

Et les tapis

Et mes cheveux

J’ai nettoyé le sol

J’ai nettoyé ma peau

J’ai nettoyé ma bouche

J’ai nettoyé mes tripes

J’ai nettoyé toutes les assiettes

J’ai lavé les vêtements

J’ai lavé les rideaux

Et les serviettes

Et les sous-vêtements

Et les chaussures

Et les mouchoirs

J’ai bu le thé

Je vais tout nettoyer

Je vais laver la tasse à thé

Après avoir bu tout le thé

Je vais tout laver et tout ira mieux

Tout ira mieux quand j’aurai fini de tout laver

Tout ira mieux quand j’aurai bu tout le thé

Tout ira bien

Quand j’aurai bu tout le thé et lavé la tasse à thé et le reste de moi

Tout sera bien

Un jour je vais me réveiller et tout ira bien

Je dois juste dormir après avoir lavé mes draps

Je dois juste dormir dans des draps propres après avoir bu tout le thé

Je dois juste boire tout le thé et tout nettoyer

Je vais tout laver

Un jour je me réveillerai et je ne serai pas fatiguée,

 

 

 

 

I will

I’ve been washing my hair

I’ve been brushing my teeth

And the carpets

And my hair

I’ve been cleaning the floor

I’ve been cleaning my skin

I’ve been cleaning my mouth

I’ve been cleaning my guts

I’ve been cleaning all the plates

I’ve been washing the clothes

I’ve been washing the curtains

And the towels

And the underwear

And the shoes

And the handkerchieves

I’ve been drinking the tea

I will clean everything

I will clean the teacup

After drinking all the tea

I will clean everything and all will be better

All will be better when I will be done with all the cleaning

All will be better when I will have drunk all the tea

All will be fine

After I will drink all the tea and wash the teacup and the rest of me

All will be well

One day I will wake up and all will be well

I just need to sleep after cleaning my sheets

I just need to sleep in clean sheets after drinking all the tea

I just need to drink all the tea and clean everything

I will wash everything

One day I will wake up and I will not be tired,

Quartette internet

MAEVA, 16 ans, maquillée, parle de manière lente et très concentrée. OCÉANE, 18 ans, maquillée, d’apparence plus sûre d’elle et au débit plus rapide. LUCIE, 20 ans, moins apprêtée que les deux autres, look moins « girly » mais plutôt tatouages, piercings ou vêtements personnalisés. MÉLISSA, 25 ans, maquillée, très volubile et énergique. VOIX OFF. Entre MAEVA. Elle s’assied face au public, se recoiffe, s’éclaircit la voix puis agite la main. Coucou les filles ! Alors la semaine dernière, comme vous le savez, je vous ai montré comment réaliser de superbes anglaises simplement avec des feuilles d’aluminium roulées en papillotes. Plusieurs personnes m’ont fait remarquer dans les commentaires que le résultat était magnifique et l’astuce très économique mais que l’aluminium n’est pas très écologique. Alors j’ai pris conscience quec’était vrai, d’autant qu’on ne peut pas vraiment réutiliser les feuilles pour emballer des aliments après les avoir enroulées dans ses cheveux. Ce n’est pas très hygiénique. Alors aujourd’hui, après avoir bien réfléchi, je voulais d’abord vous faire un grand mea culpa, parce que l’écologie est vraiment importante pour moi. Et surtout, je voulais vous remercier pour vos commentaires qui m’ont vraiment permis de réfléchir et d’avancer sur cette question. J’ai vraiment de la chance de vous avoir. J’espère que grâce à mes vidéos, je vous apporte autant que vous m’apportez à moi. Alors pour vous remercier j’ai décidé de faire une nouvelle vidéo de papillote, mais cette fois- ci avec du papier toilette.Alors bon c’est pas glamour, je vous entends déjà rire derrière vos écrans, mais je vous assure que le résultat en vaut la peine. Croyez-moi ! Alors en fonction de l’effet recherché, vous pouvez opérer sur cheveux secs, ça vous donnera un beau volume. Ou alors sur cheveux humides... (Elle humidifie ses cheveux à l’aide d’un vaporisateur.) pour faire de belles anglaises. Alors je déconseille fortement d’opérer sur cheveux mouillés, parce que le papier toilette risque de se désagréger et de laisser plein de petites miettes. Et pour le coup, ce ne serait vraiment pas glamour. Alors on tire quelques feuilles de papier, oui, de papier toilette, je sais, faites-moi confiance, vous n’êtes pas obligées de faire ça devant votre mec ! Donc( Entre OCÉANE, qui s’assied également face au public.) MAEVA : on tire quelques feuilles de papier, vous pouvez choisir du papier recyclé pour que ce soit encore plus écologique. Ensuite vous les roulez comme ceci, pour que la papillote soit bien solide, puis vous enroulez une mèche de cheveux autour. Alors la mèche peut être plus ou moins épaisse en fonction du résultat recherché. (Elle enroule chaque mèche de ses cheveux en silence.) OCÉANE : Salut les filles ! Et les garçons, parce que je sais qu’il y en a quelques uns qui me suivent, même s’ils ont du mal à l’admettre ! Alors tout d’abord je m’excuse, je suis vraiment désolée, pardon pardon pardon, j’espère que vous me pardonnez, ça fait plus d’une semaine que je n’ai pas posté de vidéo alors que j’avais promis de garder le rythme cette année, mais j’ai eu plein de partiels ces jours-ci, la fac me prend beaucoup plus de temps que ce que je pensais et je n’ai plus autant de temps à consacrer à mon blog, à vous consacrer ! Malgré ça vous continuez à me suivre, vous êtes toujours aussi fidèles, et même de plus en plus, et ça, ça me fait vraimentchaud au cœur, alors j’avais vraiment envie de faire un petit truc pour vous remercier ! Donc aujourd’hui ce sera une vidéo un peu spéciale, pas de tuto make-up, j’ai une surprise pour vous. Il y a deux semaines vous avez été nombreuses, et nombreux ! Oui oui les garçons, je sais que vous êtes là ! Vous avez été nombreux à me complimenter sur ce collier, et à me demander où je l’avais acheté. C’est pour ça que je l’ai remis aujourd’hui. Alors la vérité c’est que ce collier, je ne l’ai pas acheté, je l’ai fabriqué ! Eh oui, je vous avais caché mon petit péché mignon qui est le Do It Yourself ! (Elle se fige. Entre Lucie.) Salut ! Bienvenue sur Laissons Lucie Faire, merci d’être toujours plus nombreux à me suivre. Comme vous le savez, c’est bientôt la fin de l’été, eh oui, déjà, mais qui dit automne dit... Halloween ! Comme vous vous en doutez, c’est bien sûr ma fête préférée, alors je vous ai préparé une tonne de tutos. J’y ai passé du temps, et il y ena pour tous les goûts, alors j’espère que vous allez vraiment kiffer, autant que moi j’ai kiffé le faire. Première proposition, vampire sexy ! (Lucie se fige. Entre MÉLISSA.) Coucou mes cochons d’Inde ! Ça me fait un bien fou de vous retrouver enfin, la semaine dernière a été une semaine de folie, c’était incroyablement intense, je n’ai pas eu une minute à moi, attention, je ne me plains pas, je n’ai pas le droit de me plaindre, et ce que je vis en ce moment c’est aussi un peu grâce à vous, c’est vraiment une expérience incroyable, c’est grâce à vous si Le Petit Monde de Mélissa est devenu ce qu’il est maintenant, donc il fallait que je vienne tout vous raconter, je viens juste de rentrer, je n’ai même pas encore ouvert ma valise ni chargé mes photos sur(MAEVA a terminé ses papillotes.) Voilà, c’est terminé, donc il n’y a plus qu’à aller se coucher. Alors encore une fois, c’est vraiment pas glamour, donc c’est vraiment à réserver pour les soirs où vous dormez / MÉLISSA : mon ordi, je suis tout de suite venue vous voir, alors excusez-moi, comme vous pouvez le voir je ne suis même pas maquillée, je viens vraiment juste de rentrer ! Cette vidéo est donc vraiment juste pour vous remercier, je ferai une vraie vidéo plus tard, mais là j’ai juste pas l’énergie, comme quoi, moi aussi il m’arrive / (Elle se fige.)OCÉANE : Bleu Océane » et ensuite vous me décrivez votre bijou préféré et vous me racontez pourquoi, si on vous l’a offert, si c’est un souvenir de votre grand- mère... Vous avez jusqu’au 30, donc prenez bien votre temps pour y réfléchir ! Je choisirai moi-même mes trois commentaires préférés, et les heureuses gagnantes, ou les gagnants, hein, auront droit à un collier personnalisé ! Oui oui, personnalisé ! Alors pensez bien à me dire aussi dans le commentaire vos deux ou trois couleurs préférées ! (OCÉANE retire son collier, enfile un grand pull et s’affale par terre pour jouer sur son portable.) LUCIE : c’est facile, du noir, du noir et encore du noir, avec un peu de rouge, eh oui, le rouge c’est la couleur du sang, et aussi un peu de blanc, par exemple pour la chemise. Vous pouvez la jouer soit vampire rock, avec un blouson en similicuir, un collier à pointes, des bracelets à pointes, un jean noir déchiré ou un pantalon en similicuir pour un total look, soit vampire classe, avec veste en velours, chemise à jabot, ou alors un corset en dentelle rouge et noir pour les meufs, c’est vous qui voyez. Et maintenant, le tuto make-up ! Pour le teint, vous vous en doutez, on veut du pâle, du très pâle, alors arrêtez de râler que votre bronzage de l’été est déjà parti, ça tombe bien ! Donc pour la base j’utilise du blanc de Chanel... MÉLISSA : ... d’avoir des baisses d’énergie ! Mais ne vous inquiétez pas, je vais juste faire une bonne sieste et après je reviens vous voir et je vais juste tout vous raconter en détails ! À très bientôt mes amours ! / Moi aussi il m’arrive d’avoir des baisses d’énergie ! Mais ne vous inquiétez pas, je vais juste faire une bonne sieste et après / excusez--‐moi, comme vous pouvez le voir je ne suis même pas maquillée, je viens vraiment juste de rentrer ! Cette vidéo est donc vraiment juste pour vous remercier, je ferai une vraie vidéo plus tard, mais là j’ai juste pas l’énergie ! / À très bientôt mes amours ! / À très bientôt mes amours ! / Coucou les loulous ! J’espère que vous allez bien ! Moi je déborde juste d’énergie cette semaine ! D’ailleurs vousMAEVA : seule. Après, vous pouvez aussi les garder seulement quelques heures, et la coiffure tiendra le temps d’une soirée, ou plus, en fonction de votre nature de cheveux. Donc je vous quitte pour aller faire ma routine du soir, et je vous retrouve demain matin pour qu’on découvre le résultat ensemble. À tout à l’heure ! (Elle agite la main et se fige.) OCÉANE : En fait ça ne fait pas très longtemps que je m’y suis mise, et je dois vous avouer que je ne me sentais pas trop douée pour ça, mais vos réactions face à mon collier m’ont fait un si gros plaisir que je pense ajouter une catégorie di aïe ouaïe à mon blog. Qu’est-ce que vous en pensez ? Dites-moi ce que vous en pensez dans les commentaires ! Et en attendant, attention, voilà la surprise, roulement de tambour... Je vous propose de gagner des colliers réalisés par moi-même, de mes petits doigts. Pour participer, c’est très simple, laissez-moi un commentaire avec en titre « Je veux un collier / LUCIE : Pour ceux et celles qui n’ont pas envie de se prendre la tête avec leur déguisement, qui veulent pouvoir danser et donc être libres de leurs mouvements, et qui veulent se donner un petit air mystérieux, parce que, soyons honnêtes, Halloween, c’est aussi l’occasion de pécho. Donc pour le costume en lui-même,MAEVA retire délicatement ses papillotes une à une. LUCIE se maquille en commentant chacun de ses gestes, mais sans le son. À chaque fois qu’elle utilise un nouvel accessoire de maquillage, elle le brandit d’abord devant elle en le présentant devant sa paume. allez pouvoir en juger par vous-même au travers de toutes les vidéos que je vous ai faites ! Oui ! Je vous ai fait plusieurs vidéos cette semaine ! Je vous ai vraiment gâtées mais c’est normal, après / Salut mes chatons cœurs ! Je voulais juste vous faire un petit coucou de l’endroit paradisiaque où je suis, et ça c’est grâce à vous, j’ai juste trop de chance de vous avoir ! OCÉANE se relève brusquement, enlève son pull, remet son collier. Voilà, à tout tout bientôt, j’ai hâte de lire toutes vos belles histoires et vos beaux souvenirs, je suis sûre que ça va être très émouvant ! Je vous fais plein de bisous, et à trèsbientôt sur Des Yeux Bleu Océane ! Promis, j’essaie de revenir avant l’année prochaine ! Non je plaisante, de toute façon je reviendrai au moins le 30 pour les résultats du concours ! À bientôt !( Elle agite la main et se fige.) LUCIE : On estompe on estompe on estompe ! (Elle recommence à parler sans le son tout en se maquillant.) MAEVA : Et voilà, de belles anglaises comme promis, enfin, ce ne sont pas tout à fait des anglaises parce que ma nature de cheveux très raides fait que c’est difficile pour moi d’avoir de vraies boucles, mais comme vous voyez ça fait déjà un beau volume. Si vous voulez du plus bouclé, vous pouvez retravailler vos boucles aux doigts en les... LUCIE : Salut les filles ! MÉLISSA : Salut mes boutchous ! J’espère que vous allez bien ! / Coucou mes amours ! Comment / Coucou les chouchous ! Ça / Coucou mes / Salut mes / Salut les filles ! Coucou mes marrons chauds ! Bah oui, les marrons chauds, c’est bon et réconfortant, (Voix off, legato, crescendo) Trop trop belles ! Tu as bien fait de craquer, franchement ! — J’aimerais tellement pouvoir me les offrir aussi ! — C’est magnifique ! — Ça te va tellement bien ! — Je préférais ton maquillage d’Halloween de l’an dernier mais c’est quand même — Trop beau !(MAEVA vaporise de l’eau sur ses cheveux et se fige.) Salut les filles ! Salut les filles ! Coucou les filles ! Coucou les filles ! (MAEVA se brosse les cheveux pour essayer de les lisser.) Coucou les filles ! (OCÉANE prend des poses, genoux en dedans, main sur la hanche, main de poupée, regard en coin. LUCIE a terminé son maquillage de vampire sexy. Elle tourne son visage de droite et de gauche pour le bien montrer.) MÉLISSA : comme vous ! Surtout en cette saison ! Vous voyez où je veux en venir ? Eh oui, on ne peut rien vous cacher ! J’ai bien reçu la palette d’ombres à paupières Marron glacé de chez / (Elle se fige.) VOIX OFF : Viens sur mon blog http://labulledelililou. / Trop beau ! Je vais essayer de faire pareil ! — Je ne suis pas convaincue par ces chaussures, je pense que tu es tombée dans le piège du talon en parenthèse inversée qui alourdit la silhouette — Avec cette longueur d’ourlet, il vaut mieux des — C’est sûr que faut oser mais bon avec ta silhouette tu peux tout te permettre — La photo est retouchée, non ? — Je pense qu’avec tes mollets de footballeur il vaudrait mieux éviter les chaussettes montantes — Tes cheveux sont trop beaux, tu utilises quel shampooing ? — Je voulais les acheter aussi, est-‐‐ce que tu peux me dire si ça taille petit ? D’habitude je chausse du 38-39 mais je n’ai encore jamais commandé chezeux, j’attends ton retour, merci d’avance — oh non, pas toi ! J’ai déjà vu ces chaussures sur le blog de Vicky et aussi sur celui de — encore une mode que je ne comprends pas — ma grande, quand on a une silhouette comme la tienne il vaut mieux éviter les ponchos, même si c’est la mode — je comprends que ton mec t’ait larguée — tu n’en as pas marre de jouer les petites filles ? Tu ne crois pas que tu as passé l’âge ? — quand on a une silhouette en sablier — quand on a une silhouette en pyramide — quand on a un menton comme le tien — quand on a un nez comme le tien — tiens, tu as grossi, non ? Un heureux événement qui s’annonce ? — Super, encore un article passionnant et indispensable.LUCIE : Et voilà pour la belle vampire sexy ! Croyez- moi, tous les mecs auront les crocs ! Maintenant, deuxième proposition, la sirène ! Un peu plus difficile à réaliser, mais vous allez voir qu’avec mes conseils... (Elle se fige, la main levée exhibant un pinceau plaqué contre la paume de son autre main.) MÉLISSA : Mes amours jolis, il faut que je vous confie quelque chose, un grand projet que je mijote depuis longtemps, parce que oui, j’ai une vie en dehors du blog, je n’en ai encore parlé à presque personne... (Elle se fige dans un grand éclat de rire muet et artificiel.) Voix off : Trouve-toi un vrai métier. — Le phénomène des « blogueuses » remplacera-t-il les journaux féminins ? On espère que non, on vous dit pourquoi. — Mais t’es malade, c’est hyper allergisant la cannelle ! — Encore une bourde monumentale de la jeune « blogueuse beauté » qui — Pourquoi ne faut-‐‐il surtout pas suivre les conseils beauté de — Le scandale des billets sponsorisés des « blogueuses » — On a lu pour vous le livre de la jeune « blogueuse » — La « youtubeuse » star pète un câble — La jeune « blogueuse » accuse les réseaux sociaux d’être responsable de ses problèmes — la « blogueuse » fait sa crise — La « blogueuse » supprime son compte Instagram — La « blogueuse » désactive(MAEVA a fini de se lisser les cheveux.) OCÉANE : Aujourd’hui j’ai fait une folie ! Vous avez vu mes nouveaux bébés ? Vraiment une folie, mais j’ai pas pu résister ! Dites-moi que j’ai bien fait ! Qu’est-ce que vous en pensez ? Dites-moi dans les commentaires ce que vous en pensez ! (Elle se fige dans une pose : genoux en dedans, ventre rentré, main sur la hanche, main de poupée.) Voix off : les commentaire — La jeune « youtubeuse » star qui avait supprimé sa chaîne a maintenant encore plus de fans, bien joué ! — Encore un gros coup de pub ! MAEVA :Coucou les filles ! J’espère que vous allez toutes très bien. Moi je ne vais pas très bien en ce moment. Aujourd’hui ça va. C’est pour ça que j’en profite pour faire cette vidéo. Je suis désolée pour celles qui attendent depuis longtemps un nouveaututo coiffure ou make-up, en ce moment je n’ai pas trop l’énergie de faire ça. Donc je suis vraiment désolée. Mais j’avais vraiment envie de faire une vidéo sur quelque chose que je vis au quotidien. Si vous êtes là uniquement pour les conseils de beauté ou de mode, je suis désolée. Mais j’avais vraiment besoin de vous parler de ça. Ça fait maintenant presque un an que je suis entrée au lycée. Je ne vais pas rentrer trop dans les détails parce que c’est un peu trop douloureux encore. Mais j’avais vraiment envie de vous parler de harcèlement scolaire. Ça fait quelques mois que ça dure. Au début je pensais que ça allait passer. J’ai essayé de m’intégrer. J’ai essayé de faire des efforts. J’ai essayé de me faire des amis. J’ai même cru que / Voix off, legato, crescendo jusqu’à recouvrir totalement la voix de MAEVA : Bravo Maeva — merci pour ton témoignage, ça me touche de voir que je ne suis pas la seule — merci pour cette vidéo qui fait réfléchir — bravo pour ton honnêteté — merci pour ta confiance — j’aimerais pouvoir t’aider —c’est horrible — merci, merci, c’est exactement ce que j’avais besoin d’entendre — ça fait deux ans que ça dure, je ne sais pas quoi faire — merci — je n’ose pas en parler à mes parents moi non plus — je ne sais pas à qui en parler alors je voudrais te demander des conseils — bon courage Maeva, on est toutes avec toi — ne t’en fais pas, on est là — moi voudrais aussi j’ai connu ça mais jej’avais des amis. Je vous en parle maintenant parce que ça devient trop lourd à porter. Je n’arrive pas à en parler avec mes parents. J’ai honte. C’est trop dur. Je ne veux pas leur faire de peine. Je ne veux pas les inquiéter. Alors je vous en parle à vous. Parce que je vous fais confiance. OCÉANE : Aujourd’hui je voudrais vous conseiller le blog de Maeva...( Maeva continue à parler mais ses paroles ne nous parviennent pas, étouffées par les voix off.) LUCIE : Aujourd'hui je voudrais vous conseiller le blog de Maeva, qui a courageusement décidé d’aborder un sujet difficile. Vous ne vous en doutez peut-être pas, mais moi aussi... OCÉANE : Aujourd’hui je voudrais vous conseiller le blog de Maeva... MÉLISSA : Je sais que ça va vous étonner, parce que c’est un sujet dur et douloureux mais... MAEVA : Ça n’a pas commencé tout de suite dès la rentrée, au début j’ai même sympathisé avec quelques filles de ma classe... Et puis, je ne sais pas ce qui s’est passé... Elles n’ont plus voulu s’assoir à côté de moi en classe. Il y a des rumeurs qui ont / OCÉANE : Je sais que je ne donne pas cette impression, mais moi aussi, parfois... MÉLISSA : Merci, Maeva. Voix off : m’en suis sortie — tu verras — c’est juste un mauvais moment à passer — ma pauvre chérie — merci Maeva — mais c’est horrible je n’aurais jamais pensé que toi Maeva tu pouvais être victime de — ma pauvre chérie c’est horrible — bravo pour ton courage — il faudrait leur péter la gueule — c’est quelle marque le tee-shirt que tu portes sur la vidéo ? Il est trop joli. Bon courage ! — merci pour cette vidéo, bonne continuation — arrête de te laisser aller — il ne faut pas leur montrer que ça t’atteint — encore un bon gros coup de pub —bravo pour ton témoignage mais tu n’as pas peur que tes harceleurs tombent dessus ? — j’aime beaucoup ton blog continue bravo, comme quoi même lesMAEVA : commencé à circuler sur mon compte... Je ne sais pas de qui c’est parti. Il y a eu des graffitis dans les toilettes... On m’a volé ma trousse, mes cahiers... C’est mon troisième agenda... Dès que je parle en classe... Quand je marche dans les couloirs... OCÉANE : Bravo, Maeva. MAEVA : Je n’ose plus manger à la cantine, je passe la récréation enfermée dans les toilettes... LUCIE : Et j’ai parfois l’impression que ça dure encore aujourd’hui. Voix off : blogueuses qui n’ont pas du tout été gâtées par la nature peuvent avoir bon goût — moi je trouve que tu es de plus en plus jolie, ça ne se remarque pas que tu as pris quelques kilos — très joli ton smoky, tu nous feras un tuto ? — tu as une silhouette de petite fille malade — bravo pour ton courage, moi à ta place j’aurais trop peur qu’ils tombent dessus — arrêtez, ils ne connaissent pas son blog, ils ne savent pas que c’est une blogueuse connue, sinon ils n’oseraient pas la harceler. MAEVA : Merci, ça m’a fait du bien de vous parler.

Puisse
Le niveau des eaux baisser
Puisse
Ta mémoire se désengorger
Puissent
Les rivières polir les pierres
Puissent
Tes doigts délier tout
Puissent
Tes oreilles se fermer comme des paupières
Puissent
Tes regards ricocher sur les cailloux
Puisse
La roche devenir moins lourde
Puissent
Tes angoisses cesser de sourdre
Puisse
Ton corps redevenir nu
Puisses
Tu

Sybille et les allistes

[Extrait de ma pièce Les antennes et les branches.]

Les allistes : Folle Tarée Cheloue Cinglée Givrée Débile Extraterrestre Idiote Anormale Dingue Détraquée Malade Hystérique Fêlée Démente Tapée Stupide Piquée Toquée Timbrée Imbécile Frappée Dérangée Sybille : Je suis autiste. Les allistes : Mais non, voyons. Tu n'es pas autiste. Nous sommes tous des êtres humains. Pourquoi se mettre dans des cases.

Autiste

[Extrait de ma pièce Les antennes et les branches.]

PACÔME.

Auto automate automatique tic pathétique pas terrible paternaliste liste lister pister dépité dérouté débouté déboulé déroulé défoulé fou foule affole affolé affalé fêlé feuler feu follet lait de vache de ferme ta gueule gueule de loup gueule de fou fou furieux fou heureux heurt horreur horrible horrifié mortifié mortifère faut t’y faire fautif motif modif maudit médit méditer édicter dicté dicte docte dope opte optionnel exceptionnel excepté excédé exclu reclus perclus perdu perdre merde merdique médicament médicalement calmant cale bancal banqueroute déroute dégoûte goûte ne dis pas que tu n’aimes pas si tu n’as jamais goûté goutte de sang sanguinolent sanguin grain craint craintif crin tif taffe paf gaffe gale gare regard retard bâtard attardé accordé accord hors ordure ortie sorti sortilège privilège privé pris appris apprivoisé approuvé approché attouché entiché anti entier antihéros hante antennes antienne antinomie autonomie automobile mobilisé motorisé autorisé automatisé traumatisé attisé baptisé balisé enlisé lissé listé testé attesté attristé attiré titré sans titre en lice en liste hors liste hors piste autiste

autiste

autiste

autiste

autiste

autiste

Autiste.

 

Il y a le bleu d’encre noire qui nous prend dans ses bras

Il y a des bêtes qui chantent et des brindilles qui crient sous les pas

Il y a l’odeur de nos deux corps et le pétrichor

Il y a la lune qui éclabousse l’humus et la mousse

Il y a la rosée qui efface nos traces

Il y a la forêt qui s’est refermée

Et qui s’enflamme

Qui nous enflamme

Et tous les livres que je n’ai pas écrits

Les pays où je n’irai plus, les vies que je n’ai pas vécues

Que je ne veux plus vivre

Et nos cheveux, nos ongles et les angoisses

La douleur, même la mort

Le temps se consume avant l’aube

Dans l’eau de la terre et notre poussière

Et la lune s’éclate en cristaux sur le sol

Qui fondent dans les feuilles tombées

Il faut rentrer

De cette nuit me reste un morceau

Coincé

Entre la poitrine et la gorge qui m’empêche parfois de respirer ;

Je parle

[Extrait de ma pièce Les antennes et les branches]

PACÔME.

Je parle. Je vous parle. Je vous regarde dans les yeux quand je vous parle. Je souris en vous regardant dans les yeux quand je vous parle. Je vous regarde dans les yeux en souriant de la bouche et des yeux quand je vous parle. Je parle bien. Je m’exprime distinctement. Je ne bafouille pas. Je n’ai pas honte de moi. Je ne tripote pas mon stylo. Je ne tords pas mes doigts. Ma voix ne tremble pas. Je ne tremble pas. Je hausse légèrement les sourcils si je dois reconnaître quelqu’un. Je les hausse un peu plus si je dois exprimer la surprise. Je fronce légèrement les sourcils pour évoquer l’assurance. Un peu plus pour manifester la colère. Vous m’entendez. Vous me comprenez. Il n’y a pas de malentendu. Vous pouvez me faire confiance. Je sais de quoi je parle.

Qui suis-je pour parler au nom des autistes moi qui n’ai pas de problèmes ? Qui suis-je pour parler au nom de mes semblables en difficulté ? Comment puis-je les appeler mes semblables moi qui n’ai pas de difficultés ? Comment est-ce que j’ose les appeler mes semblables ?

Je m’approprie la lutte, moi qui ne suis pas handicapé. Je m’accapare la lutte alors que je ne suis pas handicapé. Je ne suis pas handicapé puisque je vous parle. Je ne suis pas handicapé puisque je vous regarde dans les yeux quand je vous parle. Je ne suis pas handicapé puisque j’ai un potentiel. Je ne suis pas handicapé puisque je suis de haut niveau. Je n’ai pas droit à la parole puisque je peux la prendre. Je suis une imposture.

La porte refermée vous ne me voyez pas m’effondrer. Vous ne me voyez pas tomber dans le silence. Vous ne me voyez pas tomber à genoux. Vous ne voyez pas mes genoux trembler. Vous ne me voyez pas suffoquer. Vous ne voyez pas ma tête tomber sur le sol. Vous ne me voyez pas frapper ma tête contre le sol dans les larmes et la bave et le bourdonnement. Vous ne me voyez pas oublier comment on respire. Vous ne me voyez pas me déchirer la peau. Vous ne me voyez pas derrière la porte refermée. Vous ne me voyez pas ne plus savoir ouvrir une porte. Vous ne voyez pas mon imposture. Vous trouvez que j’ai bien parlé.

Je ne peux pas être autiste puisque je dis.

Je ne peux pas être autiste puisque je dis que je suis autiste.

Si vous ne m’écoutez pas je vous le peindrai, je vous le danserai, je vous le tisserai, je vous l’écrirai : je suis autiste.

ZOHRA.

Les baleines bleues chantent sur des fréquences allant de 12 à 25 hertz, le plus généralement autour de 16 hertz. Il existe une baleine dont la fréquence de chant est de 52 hertz. Son chant n’est probablement pas perçu par ses congénères. Sa trajectoire n’est jamais la leur. Elle chante sans réponse. On l’appelle la baleine la plus seule au monde. Les scientifiques à sa recherche s’attendent à la découvrir au milieu d’autres baleines.

LOÏS.

Danse.

Je parle

J’ai plein de choses à dire

J’ai plein de choses que je dis

Je communique

Je parle aux chats

Je parle aux pierres

On communique

Je sais parler

Je sais très bien parler

Si vous n’entendez pas ma langue

C’est peut-être que vous ne savez pas écouter

-Vous l’avez laissée seule.
-Tu l’as laissée seule.
-Comment avez-vous pu la laisser seule ?
-C’est ta sœur. Où étais-tu ?
-Je lui avais dit de ne pas y aller.
-C’est ta sœur, elle n’a pas à t’obéir. Où étais-tu ?
-Ce n’était pas un ordre.
-Où étais-tu ?
-C’était une supplique. Je devais travailler. Un espoir. Une prière.
-Garde tes prières. Il y a encore espoir. Tu étais au travail ?
-Je ne pouvais pas la protéger. Je dois gagner ma vie.
-Quelle vie ?
-Je dois gagner notre vie.
-Tu crois que moi je n’ai pas de famille ?
-Mais tu n’étais pas au travail.
-Je devais gagner notre vie.
-Et la vie de ma sœur ?
-Elle a choisi de la risquer.
-Elle est mineure.
-Le peuple est un éternel mineur.
-Tu inscriras ça sur sa tombe.
-Elle n’est pas morte.
-Si elle a la chance d’avoir une tombe.
-Votre mère pourrait t’entendre. Oui, elle aurait de la chance d’avoir une tombe.
-Et quoi ? Tu crois que ma mère ne sait pas ?
-Gardons espoir.
-Elle ne sait pas que sa fille va mourir à cause de toi ?
-Ne blâme pas la victime.
-Je ne blâme pas ma sœur, je te blâme toi.
-Tu t’émeus maintenant que c’est ta sœur, mais voilà des années que mes frères meurent.
-Tu n’as pas de frères. Où étais-tu ?
-N’ergote pas. Où étais-tu il y a treize ans de ça ?
-Où étais-tu quand pas aux côtés de ma sœur ? Il y a treize ans j’en avais huit.
-J’étais toujours à ses côtés, c’est moi qui l’ai amenée. J’avais huit ans aussi. C’est là que j’ai compris que je ne serais jamais du bon côté.
-Tu l’as entraînée de l’autre côté.
-C’est moi qui l’ai portée jusqu’ici. Je ne l’ai pas entraînée, je lui ai parlé, je n’ai fait que lui parler, et elle m’a entendue. Est-ce qu’elle n’a pas le droit de se révolter ? Est-ce qu’elle n’a pas le droit de rêver à une autre vie pendant que tu choisis d’y renoncer ?
-Je n’ai rien choisi. Il faut bien gagner sa vie.
-C’est cette vie que tu veux gagner ? Nous avons choisi d’en conquérir une autre. Nous ne demandons pas l’aumône. Nous choisirons notre propre vie. Nous l’arracherons.
-Sa vie, on la lui a arrachée.
-Oiseau de malheur. Ne proclame pas la défaite tant que ta sœur se bat encore. Si tu avais été là, tu saurais de quoi elle est capable.
-Arrête de crier.
-Je ne crie pas.
-Ma mère va t’entendre.
-Je ne crie pas. Qu’elle m’entende.
-Parle plus bas, je t’en prie par respect pour ma mère.
-Tu ne m’écoutes pas. Qu’elle m’entende, qu’elle entende le respect que j’ai pour sa fille, et sache de quoi est capable sa fille, et de quoi sont capables ceux d’en face, et sache que ce n’était pas un accident.
-Qu’elle meure, et tu mourras aussi, des mains de notre mère. Je peux te le prédire.
-Louise ne mourra pas.
-Tu le lui diras. Je croyais qu’ils avaient levé leur crosse vers le ciel ?
-Certains.
-C’était un accident ?
-D’autres obéissent encore aux ordres.
-Quels ordres ?
-D’autres encore prennent des initiatives.
-Quels ordres ? On ne tue pas son propre peuple.
-Si c’est là ce que tu crois, pourquoi avoir eu peur de nous rejoindre ?
-Je te le dis, il fallait bien que je travaille. Et ce n’est pas pour moi que j’avais peur. J’avais raison. Elle est si petite. Sa tête est à hauteur d’épaule.
-Ils ne visaient pas son épaule. Elle savait ce qu’elle faisait.
-Sa tête est à hauteur de poitrail.
-Ils ne visaient pas nos poitrails. Ce n’était pas un accident. Ils savaient ce qu’ils faisaient.
-Non, ce n’était pas un accident. Ce n’était pas par accident qu’elle se trouvait là. Ce n’est pas pas accident qu’ils font leur métier. Ils ont des ordres, tu l’as dit.
-Quel métier ? On ne tue pas son propre peuple ? On ne tire pas sur ses enfants. Ce n’était pas un accident.
-Lorsque quelque chose est lancé en l’air, ça finit bien par retomber en passant à hauteur de visage.
-Ce n’était pas lancé en l’air.
-Il faut bien disperser la foule.
-Nous ne sommes pas une foule, nous sommes le peuple. Il n’y avait pas de foule. Tous les hommes avaient déjà été embarqués. C’est la seule pudeur qui nous a permis d’échapper à la fouille.
-Tu me dis que par pudeur on n’a pas osé fouiller ma sœur mais qu’on a osé la tuer ?
-Je te dis ce que j’ai vécu. Ce n’était pas un accident.
-On ne tue pas une enfant. Où sommes-nous ? Où te crois-tu ?
-Et toi dans quel monde ? Qu’est-ce que tu lis ? Qu’est-ce que tu crois ?
-Je crois ce que je vois.
-Tu n’étais pas là.
-Tu y étais, toi. Tu manques de recul.
-Tu ne me crois pas.
-Je crois ce que je vois : que tu as entraîné ma sœur dans un combat qui n’est pas de sa taille.
-Mais ta sœur est immense, elle est multitude, elle a tout le courage de son innocence, elle a toute l’énergie de notre désespoir, elle a la rage de mordre la main qui fait semblant de la nourrir pour mieux l’asservir, elle est la colère et la famine du peuple.
-Ta gueule. Ferme. Ta. Gueule.
-Elle a toute la force du peuple avec elle. Tu ne me feras pas taire.
-La force du peuple qui l’a laissée seule.
-Je ne l’ai jamais quittée.
-Tu es bien la seule.
-Les autres ne l’ont pas abandonnée. Ils ont été raflés. Ils ne nous ont pas abandonnées. Nous ne les avons pas abandonnés. Nous les avons suivis jusqu’au bout. Ta sœur les a suivis jusqu’au bout. Et je ne l’ai pas quittée. Je n’ai lâché son bras que pour la charger sur mon dos. C’est moi qui l’ai amenée ici.
-C’est toi qui l’avais entraînée là-bas.
-Écoute-toi parler. Tu devrais être fier de ta sœur. Comme nous le sommes qu’elle soit des nôtres.
-J’ai toujours été fier de ma sœur. Ne te mêle pas de ma famille. J’ai toujours été fier de ma petite sœur mais je devais la protéger.
-Il t’aurait fallu nous rejoindre.
-Pour la protéger comme tu l’as fait alors que tu étais à ses côtés ? Il m’aurait fallu l’empêcher de vous rejoindre.
-Pour lutter à ses côtés. Comme nous l’avons fait.
-Lutter contre quoi ?
-N’espère pas me piéger. Tu crois que nous ne savons pas pourquoi nous luttons. Tu crois que nous ne savons pas contre qui nous luttons. À la vérité, c’est toi qui ne sais plus pourquoi tu travailles, c’est toi qui ne sais plus pour qui tu travailles. Ne méprise pas la sœur que tu risques de perdre et que tu devrais admirer comme nous l’admirons. Ne la prends pas pour une écervelée qui s’est laissée entraîner par de beaux discours et des éclats de rage adolescente, quand elle savait ce qu’elle faisait et les risques qu’elle courait, et que jusqu’au bout nous chercherions à la protéger.
-Beau travail.
-Rien n’est encore perdu. Tu peux encore nous rejoindre.
-Rejoindre quoi ? La poignée d’éclopés qu’il doit rester.
-Tu ne comprends pas. Ta sœur n’est pas seule à avoir un frère. Ta sœur n’est pas seule à être aimée. Les camarades que nous perdons, ce seront d’autres camarades gagnés.
-Tu es par trop naïve. Idiote ! Crois-tu vraiment que votre chair à canon pourra être renouvelée indéfiniment ?
-Peut-être, grâce à ta sœur.
-Ma sœur ne peut plus rien pour vous. Qu’elle s’en sorte, et je fais le vœu de ne plus jamais vous laisser l’approcher.
-Ne dis pas « vous » pour parler des camarades de ta sœur. Ne dis pas « vous » pour parler du peuple. Tu fais partie du peuple. Tu fais partie des nôtres.
-J’aurais pu. Si vous ne l’aviez pas tuée. J’aurais pu écouter vos harangues, j’aurais pu y acquiescer et m’y laisser entraîner.
-Menteur, tu préférais travailler.
-J’ai à nourrir une mère et une sœur. Mais j’étais d’accord avec vous dans le fond. J’étais acquis à votre cause bien avant que Louise ne le soit. Je n’osais pas encore y croire, mais j’aurais bien fini par vous suivre, si vous n’aviez pas tué ma mère et ma sœur. En tuant ma sœur, vous avez condamné ma mère, et vous vous êtes condamnés. Plus jamais je ne pourrai vous rejoindre.
-Ne blâme pas ta sœur en nous blâmant plutôt que de blâmer ses bourreaux. Tu te penses un grand frère protecteur mais tu n’y comprends rien. Tu ne cherches qu’à protéger ta sœur et ce faisant tu la perds. Tu rêves de la venger mais tu ne fais que l’abandonner. Pour un peu tu l’aurais déjà enterrée. Tu n’as jamais appris ce qu’était la solidarité. Tu n’as jamais marché pour un frère, un cousin abattu. Tu n’as jamais lutté, tu n’as fait que travailler en courbant l’échine, en remerciant parfois. Aujourd’hui tu découvres la violence et tu penses qu’elle vient de nous.
-Ne crois pas m’apprendre la vie.
-Louise l’a découverte aussi, la violence, mais elle ne s’y est jamais trompée. Comprends ce qui pourrait être sa dernière volonté si elle ne devait pas se réveiller.
-Tais-toi.
-N’espère pas me faire peur. La violence, je la connais, je ne crains pas la tienne. Combien peut-elle bien peser ? Mais la mort de ta sœur, elle peut peser lourd.
-Tais-toi, ne parle pas de la mort de ma sœur qui respire encore.
-Elle pourrait peser lourd. Et c’est ce que voudrait ta sœur. Le peuple n’aime pas qu’on lui tue ses enfants.
-Ne cherche pas à me faire croire que ma petite sœur a cherché à se sacrifier pour votre cause. Ne cherche pas à me faire croire que ma sœur est une martyre volontaire de votre cause. Ne cherche pas.
-Je ne veux rien te faire croire. Je veux juste garder l’espoir.
-Je garde l’espoir qu’elle se réveille.
-Je garde l’espoir qu’elle vive. Je ne veux pas la perdre ni la pleurer. Mais si elle doit mourir, que ce ne soit pas une défaite. Si elle doit mourir, que son combat ne meure pas. Que sa mort soit un levier, un sursaut, un instant de bascule. Que tout le peuple se soulève, ceux de son âge, ceux qui ont eu son âge un jour, ceux qui ont des enfants ou des petits-enfants. Et tout le peuple se soulèvera.

-Comment peux-tu y croire encore ?

-Est-ce que nous avons le choix ?

-Alors il ne nous reste qu’à attendre ?

-Que pouvons-nous faire qu’attendre ?

Tu me guitares

Je te plume

Tu me rimes

Je te crayonne

Tu me chantonnes

Je te rythme

Tu me cordes
Tu m’accordes
Tu m’encordes

Je t’écris

Tu me résonnes

Je t’encre

Tu me manches

Je te page

Tu me scandes

Je te feuille

Tu me grattes

Je te déchire

Tu me refraines

Je te scène

Nous actons

Tu me métaphores

Je t’anacoluthe

Tu me crescendes

Je t’ellipse

Tu me musiques

Je te dramatique

Tu me paroles

Je te dialogue

Tu m’instrumentes

Je te réplique

Tu me fredonnes

Je t’apparté

Tu me chansonnes

Je te didascale

Tu m’anaphores

Je te stylote

Tu m’accélères

Je te biffe

Tu me bats

Je te tape

Tu me mesures

Je te plateau

Tu me mixes

Je te rideau

Tu me chantes

J’écris

Tu me soupires

Je te fondu au noir

 

Il y a du vin.

Il y a de la musique.

Il y a du vin partout.

Il y a du vin dans mes veines.

Il y a toi sur la scène.

Il y a des larmes dans mes yeux.

Il y a toi qui ne le sais pas.

Il y a des malentendus.

Il y a des Flamandes qui dansent sans mot dire.

Il y a des anarchistes qui sont toujours debout.

Il y a des sourires puérils.

Il y a des chats qui se haïssent.

Il y a toi qui ne me hais point.

Il y a moi qui ne le sais pas.

Il y a des poèmes au premier rendez-vous.

Il n’y a pas de tofu.

Il y a mon ventre qui gargouille.

Il y a du vin partout.

Il y a des gens qui partent.

Il y a un balcon où il fait déjà jour.

Il y a des protéines dans le sperme.

Il y a du thé noir.

Il y a toi qui chantes dans la cuisine.

Il y a moi qui pleure dans la baignoire.

Il y a des croissants en Allemagne.

Il y a des contrôleurs dans le S-bahn.

Il y a un enfant qui joue à acheter des billets.

Il y a trop de soleil.

Il y a des lunettes noires.

Il y a une guitare.

Il y a un air de rock star.

Il y a des monstres.

Il y a des blessures.

Il y a peut-être une histoire.

Il y a du retard.

Il n’y a pas de numéro de téléphone.

 

 

 

Take a walk on the wild Spectre 3

Prochain événement de mon collectif Spectre Artistique !

Spectre Artistique

Visuel d’IsaacNewURL Visuel d’IsaacNewURL

Troisième événement public
du collectif Spectre Artistique !

Événement facebook

Samedi 27 octobre à partir de 17h
au Cercle de Paras

1 impasse des vignes
07100 ANNONAY

Prix libre

17h : exposition de peinture, dessin, origami…
18h30 : lectures poétiques, théâtrales et musicales

Attention : une partie du lieu est en plein air et risque d’être difficile d’accès pour les personnes à mobilité réduite. Bien qu’il nous tienne à cœur que nos événements soient accessibles à tout le monde, ce n’est malheureusement pas toujours possible matériellement. Si vous connaissez des lieux accessibles susceptibles de nous accueillir, faites-nous signe !

Voir l’article original

Lecture / Vénus – Femmes poètes

Ce dimanche aura lieu à Lyon une lecture de textes de différentes poétesses, dont moi.

Toutes les infos ici
Mise en espace : Julien Lopez
Lecture : Juliette Donner et Camille Seitz

Textes de Linda Anderson, Leeland Bardwell, Juanita Casey, Léonie Casthel, Séverine Daucourt, Mary Dorcey, Rita Ann Higgins, Rupi Kaur, Maureen Martella, Joan Mc Bren

Représentation unique le dimanche 7 octobre à 18h au théâtre le Fou, 2 rue Fernand Rey, 69001 Lyon

Réservation au 09 54 09 23 93 ou sur http://www.lefou.eu/contact-form/

Tarif unique : 9€

27 par Itzko

Une interprétation par le comédien Itzko de mon poème 27 au Zèbre lors d’un Cabaret de Poussière.

Les codes et les coins

[Pour marquer le jour de la fierté autistique, un nouvel extrait de ma pièce Les antennes et les branches]

 

Loïs, Pacôme, Zohra. Sybille entre.

PACÔME.

Salut Sybille 🙂

SYBILLE.

Bonjour.

LOÏS.

Bonjour !:)

ZOHRA.

Bonjour Sybille 

SYBILLE.

Je suis Sybille. Je suis autiste.

LOÏS.

🙂

ZOHRA.

\o/

PACÔME.

Bienvenue !

Stim.

SYBILLE.

Vous aussi, vous faites partie de la pièce ? Je n’ai jamais eu le script.

LOÏS.

Je fais un puzzle.

SYBILLE.

Tout le monde connaît son texte et je ne sais pas improviser.

LOÏS.

Je fais un puzzle dont je n’ai pas le modèle.

SYBILLE.

Je joue mal.

LOÏS.

Je fais un puzzle sans modèle mais que tout le monde connaît.

SYBILLE.

Je sonne faux.

LOÏS.

Je cherche les coins. Ce sera plus facile quand j’aurai les coins.

ZOHRA.

Moi non plus j’ai rien compris au film et pas trouvé les bords du puzzle.

LOÏS.

Même pas les bords. Rien que les coins, et je pourrai deviner le reste.

ZOHRA.

J’apprends par cœur sinon j’ai les mots en bordille qui me viennent et j’y perds les autres alors oui alors j’apprends par cœur comme un oiseau moqueur et je ne me moque pas.

LOÏS.

Je ne désespère pas de trouver.

PACÔME.

Craquer le code.

ZOHRA.

J’apprends par cœur comme un moqueur polyglotte.

PACÔME.

Je n’ai pas cassé les codes. Je n’ai pas essayé.

ZOHRA.

J’apprends par cœur comme un mimus polyglottos.

PACÔME.

Tout ce que j’attendais, c’est le moment où j’allais craquer le code. Le code que tout le monde utilisait. J’ai espéré.

ZOHRA.

J’apprends par cœur comme un mimus polyglottos polyglottos.

PACÔME.

Tout le monde parlait sa langue maternelle sans accent. Personne ne m’apprenait les règles de grammaire. Tout ce que je savais, c’est qu’il fallait dire bonjour et ne pas parler la bouche pleine, et remercier pour les cadeaux même quand ça ne nous plaît pas, et ne pas mettre les coudes sur la table, et ne pas renifler mais se moucher, et ne pas couper la parole.

ZOHRA.

J’apprends par cœur comme un mimus polyglottos leucopterus.

PACÔME.

Je disais bonjour et merci sans couper la parole et je me mouchais sans renifler ni mettre les coudes sur la table et je n’arrivais pas à craquer le code. Tout le monde le connaissait comme une langue maternelle. Tout le monde savait faire la bise, tout le monde savait s’il faut dire tu ou vous, tout le monde savait combien de temps dure une poignée de main, tout le monde savait quand on est ami, tout le monde savait discuter, tout le monde savait qu’il faut combler les blancs et comment. Tout le monde voyait que mes gestes sonnaient faux et mon accent leur brûlait les yeux comme des fautes d’orthographe.

ZOHRA.

J’apprends par cœur comme un mimus polyglottos orpheus.

PACÔME.

J’écorche les oreilles comme une faute de grammaire dont personne ne me dit la règle.

ZOHRA.

Je parle anglais, allemand, breton, catalan, castillan, hébreu, italien, japonais, mandarin, portugais, tibétain, et je ne parle pas la langue de mon pays. Je ne sais pas y être sérieuse sans faire rire, je ne sais pas y faire de blagues sans faire peur, je ne sais pas m’y épancher sans qu’on pense que je blague.

PACÔME.

J’ai tant espéré craquer le code.

LOÏS.

Je chante tout le temps, mais quand je chante ça fait peur parce que je pleure. Je ne veux pas leur faire peur alors je chante tout le temps sans le son, et je sens le spectre de mon chant danser entre mon palais et mes dents.

PACÔME.

Il n’y a pas de code à craquer. Je ne peux qu’apprendre la langue comme une langue étrangère. Peut-être que je continuerai à faire des fautes, peut-être que je garderai un accent. Peut-être que je parlerai trop bien, comme un étranger qui fait toutes les liaisons et les doubles négations.

ZOHRA.

Comme les hispanophones qui en parlant français prononcent u les ou.

PACÔME.

Je garderai toujours un accent d’étrangeté.

LOÏS.

Je pense que je pourrais y arriver si seulement j’avais un coin.

SYBILLE.

Je me souviens de vous comme d’un livre que j’ai lu enfant et que j’ai aimé et que je redécouvre

Et vous n’avez pas changé ;

ZOHRA.

🙂

PACÔME.

🙂

LOÏS.

Vaincre l’allisme

[Extrait de ma pièce Les antennes et les branches]

LOÏS, PACÔME, SYBILLE, ZOHRA.

L’allisme ? Je ne décrirais pas vraiment ça comme une maladie.

C’est une spécificité.

Ils ont du mal avec le silence, je crois.

C’est une différence.

Je ne suis pas vraiment spécialiste, mais il y avait des allistes dans mon collège.

Ils ne sont pas comme nous.

Je crois que c’est génétique.

C’est une particularité.

C’est à cause de l’absence de vaccin.

Des problèmes de gestion de l’honnêteté.

Un rapport particulier au monde et aux autres gens.

Une certaine obsession pour la reconnaissance sociale.

Je ne sais pas si c’est une maladie, c’est une maladie ?

De nos jours tout le monde est un peu alliste.

C’est la mode.

Des soucis de rigueur dans le raisonnement.

C’est difficile à expliquer.

Je pense qu’on a plein de choses à apprendre des allistes. C’est seulement une façon différente d’envisager le monde.

C’est un handicap invisible.

Mais les personnes allistes ont des qualités particulières qui peuvent être de grands atouts pour les entreprises.

Je ne crois pas que ce soit une maladie, mais ça doit être difficile pour l’entourage.

VAINCRE L’ALLISME !

Tu es alliste ? J’imagine que tu passes ton temps à téléphoner et à toucher le bras des gens ?

Tu es alliste ? Ma cousine a un couple d’amis dont la fille aussi est alliste.

Tu es vraiment alliste ? On ne dirait pas.

Mais non, tu n’es pas alliste, ne t’inquiète pas.

Tu as vraiment un diagnostic ?

Comment tu peux dire que tu es alliste alors que tu n’as pas d’amis ?

Tu es alliste ? C’est vraiment terrible. Je suis désolée.

Mais non, tu n’es pas alliste, tu es juste un peu… euh… sociable.

Tu as essayé le yoga ?

Tu es alliste ? Ça ne se voit pas.

Mais non, tu n’es pas alliste, tu es juste un peu normal.

Tu es une personne avec allisme ?

Tu es atteint d’allisme ?

Tu souffres d’allisme ?

Tu souffres d’un trouble du spectre allistique ?

Tu es alliste ? Tu as quel type d’allisme ?

Allisme léger ?

Allisme sévère ?

Allisme de haut niveau ?

Allisme de bas niveau ?

Moi, je suis…

ZOHRA.
Je suis autiste de haute volée.

SYBILLE.

Je suis autiste de haute voltige.

ZOHRA.

Je suis autiste de haute mer.

SYBILLE.

Autiste de honni soit qui mal y pense.

ZOHRA.
Je suis autiste de haute montagne.

PACÔME.

Je suis autiste de caniveau.

LOÏS.

Autiste de gouttière.

SYBILLE.

Autiste d’intérieur.

PACÔME.

Autiste bougon.

LOÏS.

Autiste débonnaire.

SYBILLE.

Autiste sarcastique.

LOÏS.

Autiste tranquille.

PACÔME.

Autiste facétieux.

ZOHRA.

Autiste à poil long.

LOÏS.

Autiste en culotte de velours.

SYBILLE.

Autiste en robe de chambre.

ZOHRA.

Autiste au grand pied.

PACÔME.

Autiste fatigué.

LOÏS.

Autiste tendre.

PACÔME.

Autiste croustillant.

SYBILLE.

Autiste étoilée.

ZOHRA.

Autiste inutile.

LOÏS.

Autiste de fin de tiroir !

PACÔME.

Autiste à chat !

ZOHRA.

Autiste à crête !

PACÔME.

Autiste doux !

ZOHRA.

Alerta ! Alerta ! Autista !

LOÏS.

Autiste radical·e !

SYBILLE.

Autiste fière !

ZOHRA.

Autiste vénère !

PACÔME.

Autiste déter !

LOÏS.

Autiste flou·e !

AUTISTE SOCIAL·E TU PERDS TON SANG-FROID !

Silence.

SYBILLE.

Nous, les autistes, on est tous un peu autistes.

PACÔME.

Je ne mérite pas de vivre.

LOÏS.

Vous me dites que je ne suis pas autonome et vous ne me laissez même pas me dire.
C’est à moi de me dire.
C’est à moi de me définir.
Je ne suis pas une personne avec autisme. Je ne porte pas mon autisme sur le dos.

ZOHRA.

Je ne promène pas mon autisme en laisse.

PACÔME.

Mon autisme n’est pas un costume.

SYBILLE.

Mon autisme n’est pas un bagage.

LOÏS.

Mon autisme n’est pas un fardeau. Mais ça je ne vous le dirai pas, puisque vous ne m’écoutez pas.
Continuez à parler de moi.
Continuez à me nommer sans m’écouter puisque je ne parle pas.
Je ne vous parle pas puisque vous ne m’écoutez pas.

PACÔME.

Je ne mérite pas de vivre.
Je n’ai pas à mériter de vivre.
On n’attrape pas la vie parce qu’on le mérite.
On tombe en vie par hasard.

ZOHRA.

Ne suis-je pas faite de viande et d’étoiles et de bactéries ?

PACÔME.

Comme vous ?

L’écho

[Extrait de ma pièce Les antennes et les branches]

SYBILLE.

L’écho des caresses et des frictions

Le toucher qui s’accroche à la peau comme une odeur

L’odeur qui reste sur la peau et dans le nez et dans la gorge

La brûlure du froid de lumière sur la rétine

La chaleur qui reste dans les os quand la neige fond sur la peau

La persistance rétinienne des doigts sur ma peau

Les vibrations de poussière du tissu que je viens de toucher

Les traces de doigts sur la vitre de ma peau

Vous ne sentez pas ça ?

L’apaisement écrasant des couvertures lourdes ou la suffocation d’une bulle crevée

L’étiquette qui continue de gratter quand elle n’est plus là

La persistance des vêtements même nue sous les draps

Le poids de vos habits, vous ne le sentez pas ?

Dans les yeux le vent ou l’haleine des gens, vous ne sentez pas ?

Vous n’êtes pas comme moi ?

Vous ne sentez pas la traînée d’écume qui se fond sur votre peau

Comme on sent le ressac de la mer dans son corps longtemps encore après avoir nagé

Comme les roulettes de nos patins continuent à rouler longtemps après les avoir enlevés

Comme la douleur prend du temps à s’effacer

Vous ne sentez pas ?

La sensation que l’on déplace dans le corps comme un son muet dans la bouche

Égaliser la balance de son propre corps

Pour établir

La symétrie

Le fantôme de la main qui pèse sur l’épaule

Fabriquer son miroir

La chatouille, le trébuchement, la bousculade, la poignée de main, le baiser sur une joue, la gifle même, les caresses et les coups

Égaliser

Les fantômes qui m’accompagnent.

L’écho de toutes les caresses qui me bercent et les mains qui me portent à bout de bras

Et celles qui appuient sur ma tête pour la replonger sous l’eau des voix

Vous ne sentez pas ça ?

Une qui décore mon menton
Une qui déforme mon doigt
Une qui orne ma pommette
Une qui scintille sur ma main
Dans mon dos et à genou
Sur mon poignet
Entre mes seins
Des racines et des balafres
Des branches et des constellations
Des coups de griffes
Des déchirures
Des bris de verre, des rêves cassés
Des pulsions de dépression
Des aventures et des accidents
Des déceptions
Des soulagements

Et puis il y a toi, ma plus belle cicatrice

Casthel Dans Tes Oreilles

Mon interview sur Radio Canut par Marion Feugère et Élise Bonnard est en ligne !

DTO est une émission de littérature diffusée sur Radio Canut un lundi sur deux, de 23h à minuit. Des artistes se retrouvent pour mettre à l’honneur une autrice de théâtre, roman, poésie, BD, performance ou toutes autres œuvres qui se prêtent à la mise en bouche.

Les autres émissions sont en ligne ici.

Merci encore à Marion et Élise pour cette émission, ainsi qu’aux comédiennes Anaëlle Croiset et Marie Ménéchi pour les lectures, et à Camille, Chloé et Daria pour leur soutien !

Zone

M’extraire de l’eau pour me couler dans l’air, d’un coup sec hors de la ouate, claque hors de la boîte

Loin des tac tac qui caquètent des oies, loin des veaux qui ne m’entendent pas, les miens me tendent les bras

En loques tombe le glauque

Sous les coulures de lumière verte et jaune

Je vais errer

Et renouer avec ma zone

Je m’écoule et me dore couleuvre

Un rai de couleur sur la joue

Soûle de soleil je m’écroule et m’endors.

Radio Canut

Ce soir à 23h, je passe à la radio en direct pour la première fois de ma vie !

Ce sera aussi la première de l’émission Dans Tes Oreilles, qui a pour objectif de mettre en lumière les autrices contemporaines et leurs textes, qui seront lus par des comédiennes.

Vous pouvez écouter « Casthel dans tes oreilles » sur Radio Canut en ligne ici ou sur 102.2 si vous êtes dans la région lyonnaise.

À ce soir !

3 fois par semaine (c’est le cycle menstruel)

Une magnifique interprétation d’une chanson de ma composition par le grand Martin Dust.

L’idée originale de la parodie vient de propos de Maeva Anissa : « MOI JE CONNAIS DES FILLES QUI AVORTENT 5 fois par mois !!!!! » (sic).

Take a walk on the wild Spectre

Take a walk on the wild Spectre !
Tout premier événement public du collectif Spectre Artistique.

Spectre Artistique

Visuel_Evenement_SA2

Premier événement public
du collectif Spectre Artistique !

Mardi 20 février à partir de 19h
au Café de Paris

158 rue Oberkampf 75011
Métro ligne 2 arrêt Ménilmontant
Bus 96 arrêt Belleville-Ménilmontant

Entrée à prix libre (3 euros minimum)

19h : vernissage
20h : lectures et représentations

Sculpture, peinture, théâtre, poésie, dessin, BD, vêtements, accessoires…

Événement FB

Petite restauration sur place : frites, croque monsieur, madame ou végétarien, terrine végétale, terrine de viande, planche de fromage ou de charcuterie…

Voir l’article original

Naissance de Spectre Artistique

Naissance de notre collectif Spectre Artistique !

Spectre Artistique

Spectre Artistique est un collectif d’artistes autistes de France, de Belgique et de Suisse, un réseau d’entraide et de création commune, un réseau artistique par et pour les personnes autistes, qui célèbre la neurodiversité et combat les stéréotypes déshumanisants.

Voir l’article original

Étape

Un restaurant routier. La patronne est seule.

LA PATRONNE. (Une main dans le dos, elle essaie de défaire le nœud de son tablier, s’agace dessus) – Tu as encore fait un double-nœud. Tu as passé l’âge de ce genre de farces. Tu le sais bien, que j’aime pouvoir dénouer mon tablier d’une main. Je tire sur un cordon et le nœud cède, et alors mon corps délivré redevient le mien, il n’est plus cet uniforme de tenancière qui me porte tous les jours, dimanches et jours fériés, jusqu’à l’heure de la fermeture. C’est presque l’heure. Je vais pouvoir te parler. Parfois il reste encore quelques habitués, mais ils se font rares, ils perdent le chemin au fil du temps. Certains préfèrent maintenant attraper eux-mêmes leur casse-croûte en libre-service ou avaler un sandwich dans leur cabine pour perdre moins de temps. Leurs cafés sont à emporter, leurs cigarettes expédiées sur un bout de parking. Pourtant quelques-uns continuent de s’arrêter ici au milieu de leur route, qui ont encore envie de parler, encore envie de manger, parfois envie de me revoir. Ils t’ont connue toute gamine, grandir entre les tables ou rendre la monnaie, ils s’étonnent de ne plus te voir. Car tu n’es pas là. Alors moi aussi je m’étonne : tu devrais déjà être rentrée. Tu le sais bien, que je n’aime pas que tu traînes trop tard au bord de la route, qui sait ce qui pourrait t’arriver. Mais tu n’en as toujours fait qu’à ta tête, tête de mule, tête brûlée, il faut bien que jeunesse se passe, et ils n’insistent pas. Tu as dû partir en exploration urbaine, comme vous appelez ça, ou tu as sauté à l’arrière d’une moto comme je te l’ai interdit. Qui sait où tu es maintenant ? Les voyages forment la jeunesse, et il faut bien que jeunesse se passe.

Mais il commence à se faire tard. Tu sais ce que vont encore dire les gens ? Ils vont encore dire que c’est un père qu’il t’aurait fallu, que c’est un père qu’il te faut. C’est ça que tu veux ? Les gens vont encore dire que tu n’en fais qu’à ta tête brûlée parce que tu manques d’une figure paternelle pour mettre de l’ordre dans tout ça. Mais toi tu t’en ris, ça t’est égal, à toi, ce que disent les gens, tu traverses la vie avec la grâce d’un sac plastique blanc emporté par le vent. Et tu as autant de cervelle. Je te l’ai déjà dit, de ne pas traîner près des voies le soir, mais tu n’en fais qu’à ta tête de mule écervelée. Tu ne viendras pas te plaindre s’il t’arrive des bricoles.

Elle ramasse les derniers verres sur les tables.

Tu as vu l’heure ? (Avec un coup d’œil à l’horloge murale.) Et tu n’as toujours pas réparé l’horloge. Tu avais dit que tu t’en occuperais. C’est de ta faute si nos clients se mettent en retard à boire un dernier verre ou un troisième café. Je devrais être contente, ça en fait plus dans le tiroir-caisse ? Ma petite, ici on ne pousse pas à la consommation.

Merde à la fin ! Je suis ta mère, tu dois m’obéir. Même si je ne suis pas une bonne figure paternelle. J’ai de l’autorité, je le sais, tout le monde le dit. Même les touristes égarés s’appliquent à me parler français. Les motards qui s’arrêtent ici boire un café n’oseraient jamais oublier de me dire s’il vous plaît. Et quand j’ai décidé de fermer, le plus poivre des ivrognes courbe l’échine sans réclamer de dernier verre. J’ai de l’autorité, tout le monde le sait. Il en faut bien, pour tenir un restaurant routier, il en faut bien pour tenir tête à la route. Mais toi tête brûlée, il t’en faudrait bien plus pour t’arrêter, il t’en faudrait bien plus pour m’écouter. Et tu files comme un convoi de Hell’s Angels sur l’autoroute.

Dommage pour toi.

Elle sort un plat de tiramisu du réfrigérateur.

Personne n’a pris de dessert aujourd’hui. Seulement quelques cafés gourmands, et des sorbets pour les enfants. Ils s’imaginent qu’avec cette chaleur, un tiramisu ne passerait pas. Ils ont peur de somnoler au volant. Ils ne savent pas l’italien et ne comprennent pas que mon tiramisu est fait pour redonner des forces. (Elle l’attaque à la petite cuillère, directement dans le plat.) Si tu ne tardes pas trop, il t’en restera peut-être un peu. Mais tu devrais te dépêcher. J’ai très faim. Je vais tout manger. (Elle repose la cuillère.) Je te laisse une dernière chance.

Elle sort puis revient avec des cendriers dans les mains.

Attention, j’arrive.

Elle regarde autour d’elle. Silence. Elle se dirige vers le jukebox, passe « It’s a beautiful day » de Queen, puis reprend la cuillère et mange le tiramisu en silence dans la musique.

Il commence à se faire vraiment tard. Il commence à être vraiment temps que tu rentres. Tu ne crois pas que tu as passé l’âge de me faire un sang d’encre ? Dépêche- toi, j’ai presque fini. Ça va me redonner des forces, c’est fait pour ça. Tiramisù, tire-moi vers le haut. Toi tu n’en as pas besoin. Tu es plus forte que les fleurs qui réussissent à percer le béton de la route.

Elle repose la cuillère, souffle un peu. Elle a trop mangé. Elle fait un café.

Ça va me faire digérer. Ici tout le monde boit du café, le matin pour se réveiller, le midi pour digérer, le soir pour digérer encore et se réveiller encore avant de reprendre le volant. Tout le monde a la langue jaune, l’haleine empâtée, les paupières qui clignotent. Toi, tu ne bois jamais de café. Tu es bien réveillée et tu ne veux rien digérer. Tu pourrais manger le monde, il te faudrait des sirops de lumière, des smoothies de soleil, des limonades d’étoiles, des diabolos-galaxie. Tu n’en peux plus de servir des cafés. Tu te souviens quand tu apprenais à compter en rendant la monnaie ? Tu as appris à lire sur le menu du jour.

Elle boit son café.

Tu voudrais manger le monde, toi qui as appris la géographie sur les plaques d’immatriculation. Tu n’en peux plus des voitures qui disparaissent à l’horizon après avoir rechargé leurs batteries. Tout le monde s’arrête ici pour se poser. On s’arrête cinq minutes, dix minutes, une heure ou deux. On se pose devant un café, on se pose devant le plat du jour, on se pose sur la lunette des toilettes, on se pose sur la terrasse avec une cigarette. Toi, tu ne tiens pas en place. Je te revois tituber sur tes petites jambes entre les tables du restaurant. Tu lâchais déjà ma main pour te cramponner aux pieds des tabourets du bar. Et depuis que tu sais marcher, tu cours. Tu files. Je ne te tiens plus. Je ne sais jamais où tu es. Je ne sais pas où tu es. Tu devrais déjà être rentrée. Tant pis pour toi, tu ne sais pas ce que tu perds. (Elle reprend une cuillerée de tiramisu.) Il fallait rentrer à l’heure. Quelle heure est-il ? Je ne sais pas ce que j’ai fait de ta montre. Je sais que tu m’as dit qu’elle était waterproof, je sais que tu me l’as achetée pour ça, mais je préfère en prendre soin, alors je l’enlève toujours pour faire la vaisselle, et puis je ne sais pas où je la mets.

Elle vide les cendriers.

Je ne sais plus où elle est passée. Il y a longtemps que je ne l’ai pas vue.

Elle a envie d’une cigarette.

Elle devrait déjà être là. Elle sait bien que ça m’inquiète, mais elle n’en fait toujours qu’à sa tête. Je ne suis pas une mère poule, mais elle sait bien que ça m’inquiète. Je la laisse vivre, mais elle le sait bien, que ça m’inquiète. Ce n’est pas elle qui m’inquiète, c’est tout le reste. Je le sais bien qu’elle pourrait faire du skate sur l’autoroute, faire du vélo sur le toit de l’hôtel Mercure, je le sais bien qu’elle serait capable de s’envoler sur Mercure. Ce n’est pas elle qui m’inquiète, c’est le reste, tous ceux qui m’inquiètent, tous ceux qui prétendent que c’est un père qu’il lui faudrait, que c’est une figure d’autorité qu’il lui faudrait, comme si je n’avais pas d’autorité, comme si elle avait besoin d’un père ! D’ailleurs elle n’a pas non plus besoin 
de moi. Elle n’a besoin de rien : elle pourrait manger le monde. Elle n’a pas besoin de moi, je ne fais que l’entraver. C’est moi qui la retiens ici. Sans moi elle serait une véritable exploratrice, pas une exploratrice d’usines désaffectées. Sans moi elle pourrait faire le tour du monde sans avoir à rêvasser sur les plaques d’immatriculation ou les guides touristiques oubliés par les clients. Où est-ce qu’on irait ? Où est-ce que moi j’irais ? Ma fille a appris à marcher entre ces tables. Elle a dessiné dessus au cutter quand j’avais le dos tourné. Elle a appris la musique sur le jukebox. (Elle touche le bord du bar.) Et c’est ici que je la mesurais.

Il y a une marque par an. Elle avait neuf ans quand elle a dépassé le bar. Où est-ce que j’irais ? Pour aller au travail je n’ai pas à aller loin, j’habite juste à côté. Tous les jours je me lève, dimanches et jours fériés, je me fais du café, un seul, ma fille ne boit pas de café. Je bois mon café seule, ma fille n’est pas là, je ne sais pas où elle est. Alors je vais travailler.

Pour voir ma fille je n’ai pas à aller loin, elle est là, dans le bois des tables griffé de ses dessins, elle est dans les entailles qui ponctuent l’arête de mon bar, elle est dans le menu du jour qu’elle avait écrit à la craie. Où est-ce que j’irais ? Alors j’ouvre le bar, et c’est le moment où je peux penser à autre chose. Je dois dire bonjour aux clients, saluer les habitués, prendre les commandes, je dois encaisser, je dois réciter le menu parce que la craie commence à s’effacer. Je dois encaisser. Il y a des habitués dont je n’ai pas besoin de m’occuper. Ils ont leurs fantômes avec qui parler. Eux aussi sont des fantômes qui ne savent pas s’en aller. Parfois un vieil habitué qui n’est pas venu depuis longtemps me demande des nouvelles de ma fille, mais elle n’est pas là, qui sait où elle est encore passée, et il n’insiste pas. Les autres, les routiers, les motards, lui écrasent le pied, le poussent du coude. Ils s’installent à une table pour chuchoter, et quand je viens prendre leur commande ils changent de sujet. Et leurs yeux me regardent avec pitié.

Elle passe « The show must go on », vide les cendriers, passe l’éponge sur les tables.

S’ils savaient comme ils me font rire, avec leur pitié, qui n’ose plus me demander comment je vais, qui n’ose plus faire de blagues salaces devant moi, qui n’ose plus parler de leurs enfants sous mon toit. Mais moi je continue à rire, je continue à travailler, parce qu’il faut bien continuer, qu’est-ce que je pourrais bien faire d’autre ? Mes hanches entre les tables se déplacent de la même façon que du temps où on m’appelait fille-mère. Mes formes sont toujours les mêmes. Depuis que ma fille n’est plus là, je n’ai plus de hanches. Je n’ai plus de forme. Depuis que je ne suis plus mère, je ne suis plus une femme. Je ne suis ni veuve ni orpheline. On dit qu’il n’y a pas de mot pour dire ce que je suis. Pourtant je suis encore une femme. Mais pour tous ceux qui ont connu ma fille, je ne suis plus qu’une créature amputée.

Je ne suis plus qu’une plaie. Je devrais partir, mais où est-ce que j’irais ?

Elle range les chaises à l’envers sur les tables.

Il y a des bruits. On dit que cette portion de l’autoroute va être désaffectée. C’est ma fille qui serait contente. Mais moi, où est-ce que j’irais ? Je pourrais en profiter pour voyager, comme ma fille le voudrait, comme ma fille en rêvait. Je pourrais faire le tour du monde pour ma fille qui aurait voulu le manger. Je pourrais aller dans l’espace pour ma fille qui n’est jamais allée plus haut que le toit de l’hôtel Mercure. Je pourrais l’emmener ailleurs pour qu’elle puisse se disperser aux quatre coins du monde. Comme elle en rêvait. Il faut que je ferme. Il est tard. Je ne sais pas quelle heure il est, mais j’aurais déjà dû fermer.

Elle passe « We are the champions ». Ce faisant, elle lave la tasse à café, le plat à gâteau, les cendriers, les rince, les essuie puis les range.

Je vais me coucher.

Elle se dirige vers la porte.

Tu éteindras quand ce sera fini ?

Un temps. Elle revient, éteint elle-même la lumière et sort en fermant à double tour derrière elle. Le jukebox finit de jouer seul.

La Revanche de Scapin

Ce texte est le fruit d’un atelier d’écriture auquel j’ai participé avec mon amie Ségolène Liautaud. L’exercice proposé était d’écrire la suite d’un extrait des Fourberies de Scapin, à savoir :

SCAPIN : Non vraiment, vous l’avez remis dans votre poche.

GÉRONTE : Ah ! c’est la douleur qui me trouble l’esprit.

SCAPIN : Je le vois bien.

GÉRONTE : Que diable allait-il faire dans cette galère ? Ah ! maudite galère ! traître de Turc à tous les diables !

SCAPIN : Il ne peut digérer les cinq cents écus que je lui arrache ; mais il n’est pas quitte envers moi, et je veux qu’il me paye en une autre monnaie l’imposture qu’il m’a faite auprès de son fils.

Et voici la suite que nous avons imaginée…

Scapin reste seul. Jean-Théophile entre.

JEAN-THÉOPHILE. — Bravo, mon amour ! Tu as su triompher de la mesquinerie de mon raciste de père ! Plus rien désormais ne s’oppose à notre lune de miel au fil du Nil.

SCAPIN. — Cinq cents écus ne sauraient apaiser mon courroux. Je n’oublie pas que ton père et son racisme de classe ont tenté de me discréditer auprès de toi.

JEAN-THÉOPHILE. — Tranquilise-toi, mon amour, et abandonne tes projets de vengeance. (Il l’enlace.) Ne te suffit-il pas d’imaginer notre avenir commun ?

SCAPIN. — Ah, mon cher ange, ta mansuétude te perdra. Mais moi, qui n’ai pas les mêmes privilèges que toi, je dois mener à bien ce combat.

JEAN-THÉOPHILE. — Allons mon amour, quitte cet air renfrogné pour une tenue qui te sied bien mieux. (Il déboucle la ceinture de Scapin qui ne réagit pas.) Il nous faut faire preuve d’indulgence envers cet homme qui, tout pingre et raciste qu’il est, n’en demeure pas moins mon père. (Il empoigne le braquemart de Scapin et se l’enfourne goulûment dans le gosier.)

SCAPIN. — Ah, mon cher et tendre, tu ne crois pas si bien dire ! C’est bien justement de cela que je voulais… Ah ! Attends, laisse-moi finir ! C’est bien justement de cela que je voulais… AAAAAHHHHH !

Géronte entre.

GÉRONTE. — Oh mon dieu !

JEAN-THÉOPHILE. — Oh mon dieu !

SCAPIN. — Oui, c’est ce que j’allais dire.

GÉRONTE. — Arrière, infâme créature sodomite ! Retire tes sales pattes de mon enfant !

SCAPIN. — Croyez m’en, ce n’est plus un enfant.

GÉRONTE. — Silence, suppôt de Satan ! Tu ne souilleras point notre lignée !

JEAN-THÉOPHILE. — Assez, père ! Ne parlez pas de souillure quand il s’agit d’amour.

GÉRONTE. — Jean-Théophile, tu ne sais pas ce que tu dis ! La perversité de ce serviteur t’a fait perdre la tête !

JEAN-THÉOPHILE. — Oui, j’ai perdu la tête ! J’ai perdu la tête pour lui et je lui ai donné mon cœur.

GÉRONTE. — Ah ! C’est mon cœur à moi qui saigne de voir mon fils unique se rouler ainsi dans la fange.

SCAPIN. — Apaisez-vous, Monseigneur, car la situation n’est pas telle qu’elle vous semble.

GÉRONTE. — Que dis-tu là, oiseau de malheur ?

SCAPIN. — N’avez-vous donc jamais remarqué comme le teint hâlé de Jean-Théophile et ses boucles d’ébène ressemblent curieusement à celles de votre voisin ?

GÉRONTE. — Comment ! Le vendeur de kébab !

JEAN-THÉOPHILE. — Père ! Je t’ai déjà dit cent fois qu’il n’était pas vendeur de kébab mais patron d’un restaurant gastronomique.

SCAPIN. — Hé oui, vil xénophobe, il était temps que vous sachiez la vérité quant à votre femme et à celui que vous appeliez votre fils.

GÉRONTE. — Ah ! Qu’ouïs-je ? Qu’entends-je ? Que comprends-je ?

SCAPIN. — Vous comprenez fort bien ! Tandis que toute votre vie durant, vous crachiez votre venin sur les Turcs, vous en éleviez un au sein même de votre foyer !

GÉRONTE. — Re blow maplz na !

JEAN-THÉOPHILE. — Père, que dites-vous ? Vos paroles n’ont aucun sens !

SCAPIN. — Et ainsi vous n’avez aucun droit sur Jean-Théophile ! Rien ne s’opposera à notre amour ! Vous êtes impuissant, si vous ne l’étiez pas auparavant.

JEAN-THÉOPHILE. — L’expression de son visage est déformée ! Et si c’était un AVC ?

GÉRONTE. — Re blow maplz na ! (Il choit.)

JEAN-THÉOPHILE. — Papa ! Qu’avons-nous fait ? Notre amour a eu raison de son cœur !

SCAPIN. — Non, Jean-Théophile. Ce n’est pas notre amour qui a brisé son cœur de pierre. C’est sa haine à lui qui l’a consumé.

JEAN-THÉOPHILE. — Mon cher cœur, tu as raison. Quel dommage seulement que je ne sois pas vraiment son fils et qu’ainsi son héritage nous échappe.

SCAPIN. — Réjouis-toi, mon tendre amour, car tout ceci n’était que pure invention destinée à me venger de ce gros con.

JEAN-THÉOPHILE. — Oh mon chéri ! Comme tu es intelligent ! Ainsi donc notre noce sera des plus somptueuses.

SCAPIN. — Oui, Jean-Théophile : tout est bien qui finit bien.

Ils s’éloignent bras dessus bras dessous en riant et gambadant, tandis que le rideau tombe lentement sur le cadavre de Géronte.

Traverse (extrait)

Entrent Sam et Alix, en robes de chambre, pyjama en pilou, etc., et transportant une table, sur laquelle on installe une miche de pain, des assiettes, des bols, un beurrier, une coupe de fruits de saison, etc.

SAM.
Attends, on a une carafe. On va mettre le jus d’orange dans la carafe, ce sera plus sympa.

ALIX.
Plus sympa ?

SAM.
Plus / convivial.

ALIX.
Le jus d’orange est plus sympa dans une carafe ?

SAM.
Plus convivial.

ALIX.
Du genre Bed and Breakfast commerce équitable on a pressé des oranges fraîchement cueillies ce matin ?

SAM.
Oui Alix, c’est exactement ce à quoi je pensais.

ALIX.
Génial. J’adore le jus d’orange équitable.

Sam emplit de jus la fameuse carafe. Entre Meredith, dans un grand plaid.

SAM et ALIX.
Bonjour !

MEREDITH.
Bonjour !

SAM.
Bien dormi ?

MEREDITH.
Ce calme ! C’est incroyable.

SAM.
Je t’avais dit.

MEREDITH.
Incroyable. Oh, vous avez tout préparé ! Vous êtes des amours. Il y a du thé ?

SAM.
Tu veux du jus d’orange équitable ?

MEREDITH.
Vous l’avez acheté à la ferme ? C’est génial. Je me sens déjà revivre.

ALIX.
Oui, il y a une ferme d’oranges juste à côté.

MEREDITH.
Délicieux.

ALIX.
C’est d’ailleurs la spécialité de la région, je crois.

MEREDITH.
Je vois que tu es très en forme dès le matin. Ah, ce calme !

SAM.
C’est quoi ce bruit ? Merde, le café !

Entre Andrea.

MEREDITH.
Ah, « café bouillu »…

SAM. (off)
Café foutu !

ANDREA.
Généralement on évite d’énoncer la deuxième partie d’un proverbe que tout le monde connaît, c’est d’un lourd.

SAM. (off)
Bonjour à toi aussi, Andrea !

ALIX.
Vous pouvez arrêter de hurler ? Meredith essaie de savourer le calme.

MEREDITH.
Salut Andrea, tu veux du jus d’orange bio ?

ALIX.
Il est équitable.

ANDREA.
Équitable à quel niveau ?

Entre Sascha.

ALIX.
C’est-à-dire qu’il y a autant de sucre ajouté que de pesticides. C’est équitable.

SASCHA.
Voilà qui ouvre l’appétit ! Qu’est-ce que vous nous avez préparé ?

ALIX.
Qu’est-ce que qui a préparé à qui ?

SAM.
Alors justement je voulais vous parler de ça.

ALIX.
Soyez bien aises qu’on ait sorti le beurre du frigo et mis la table.

SAM.
Je ne pensais pas que ça viendrait si tôt sur le tapis, mais / qu’est-ce que vous diriez d’un emploi du temps…

SASCHA.
Mais j’en suis bien aise, j’en suis bien aise ! Après un tel festin, j’aurai sûrement assez d’énergie pour faire toute la vaisselle.

SAM.
On pourrait faire une espèce de roue avec toutes les tâches ménagères, par exemple. Ou alors un calendrier.

Du côté opposé à l’entrée des autres, entre Morgan.

MORGAN.
J’ai acheté du pain.

SAM.
Bordel, Morgan, ça t’arrive de répondre au téléphone ?

MORGAN.
J’avais plus de batterie. Mais j’ai pris du pain. Le mec avait pas de prise dans sa caisse. Le covoitureur.

ALIX.
Tu as trouvé un covoiturage jusqu’ici ?

MORGAN.
Bien sûr que non. C’est pour ça que je suis à la bourre. J’ai bouffé la moitié, j’avais tellement la dalle. Il est super bon. Comme tu m’avais dit qu’il n’y avait pas de boulangerie au village.

SAM.
On a déjà du pain.

Sascha et Meredith se figent, l’air coupable.

SASCHA.
Euh. On n’a jamais trop de pain.

SAM.
Vous avez déjà bouffé la miche entière ?

ANDREA.
Parce qu’on est rationné·es ?

MEREDITH.
Détends-toi, Sam, on a dit qu’on irait faire le marché. En plus j’adore ça.

SAM.
Mais je n’ai rien dit. Je m’étonne, c’est tout. J’admire, même. Je ne sais pas comment vous faites pour manger autant le matin. Moi ça ne passe pas. Surtout pas aujourd’hui. Morgan, tu veux bien t’essuyer les pieds ? Je ne sais pas où tu as encore traîné.

MORGAN.
Dans les champs.

ALIX.
Ah, mais tu étais à une rave ! C’est pour ça !

ANDREA.
En tout cas tu arrives pile à l’heure pour le concert de rock normand.

MORGAN.
Sérieux ?

ALIX.
Ah bah oui, ça commence tôt par ici, et puis une tisane et au lit.

SAM.
Tu tiens à garder tes lunettes dans la maison ?

MORGAN.
C’est toi qui m’as dit qu’il y aurait du soleil.

ANDREA.
On t’a dit qu’il ne pleuvait pas en permanence sans discontinuer, contrairement à ce que tu avais l’air de redouter.

MORGAN.
Au fait, Gwenn n’est pas avec vous ?

ALIX.
Et ça ne justifie pas le reste de la tenue.

SASCHA.
Je crois que Gwenn dort encore.

MORGAN.
Encore ?

SASCHA. (sortant)
Je vais voir.

MORGAN.
Et quoi, qu’est-ce qu’elle peuvent vous foutre, mes fringues ? Je vous trouve bien rigoristes, pour des anarchistes.

MEREDITH.
Des anarchistes ?

ANDREA. (sortant)
Je viens avec toi.

MORGAN.
Des scissionnistes.

MEREDITH.
Depuis quand on est un groupe anarchiste ?

MORGAN.
Des anticapitalistes. Des altermondialistes. Peu importe. Je vous trouve bien réactionnaires, pour nos âges. Parce qu’on est à la campagne, je devrais peut-être d’un coup délaisser mes badges et mon keffieh, et m’enrouler comme vous dans un de vos plaids de vieillard ?

MEREDITH.
Je regrette mais jamais dans aucune de nos réunions il n’a été question /

MORGAN.
Je ne savais pas que c’était un mouroir qu’on venait ouvrir.

M. LELIÈVRE.
Dites, les poulots, dites pas trop de mal des gens d’âge, ça finira peut-être par vous arriver, à vous aussi.

Entre un certain nombre de vieux.

MME LELIÈVRE.
Alors c’était bien vrai, que les queniauds sont de retour ! Tu les reconnais ?
Presque pas changé ! Tu t’en souviens ?

MME DUVAL.
Bien sûr que je m’en souviens, je ne suis pas encore gaga. C’est la petite Margot.

ALIX.
Marguerite, c’est notre mère /

SAM.
Alix ! Tu te rappelles Madame Duval ?

ALIX.
Bien sûr que je me rappelle, je ne suis pas encore gaga.

SAM.
Madame Duval qui nous faisait de la bonne teurgoule.

ALIX.
Je m’en souviens très bien. Bonjour, Madame Duval ! Bonjour, Madame Lelièvre !

MORGAN.
De la teurgoule ?

ALIX.
Sam, tu te rappelles Monsieur et Madame Lelièvre ?

MME LELIÈVRE.
Allez, faites-y un boujou !

Tournée de bises, en commençant par la joue gauche, ce qui déstabilise Morgan et Meredith.

M. LELIÈVRE.
Il y avait longtemps que vous aviez pas pris de vacances, pas dis ? Qu’on vous voyait plus.

MME LELIÈVRE.
Vous devez beaucoup travalaer, ça se voit.

ALIX.
On n’est pas vraiment en vacances.

MME LELIÈVRE.
Aïe ! Le chômage, c’est pas facile de nos jours.

SAM.
C’est pas tout à fait ça…

MORGAN.
Ah bon ?

SAM.
C’est plutôt un choix.

M. LELIÈVRE.
Vous avez choisi de pas travalaer ?

SAM.
Ah si, on travaille. Mais on a choisi de vivre différemment.

MME LELIÈVRE.
Différemment de quoi ?

MEREDITH.
Puisqu’on revient là-dessus, pardon mais je tiens à rappeler que jamais au cours de toutes nos réunions il n’a été voté que nous soyons un groupe anarchiste.

MME LELIÈVRE.
Vous êtes un groupe anarchiste ?

MORGAN.
Meredith, on peut savoir ce que tu fais ?

ALIX.
Tu crois vraiment que c’est le moment ?

MEREDITH.
Pourquoi non ? Si l’on commence à se présenter aux gens du village, il faut bien savoir quoi dire.

MORGAN.
Et ta meilleure phrase d’accroche quand tu rencontres quelqu’un, c’est « Salut, on n’est pas un groupe anarchiste » ?

SAM.
Sommes-nous vraiment obligé·es de nous étiqueter ?

SASCHA.
Les mots sont importants. On en a besoin pour se définir.

SAM.
Mais on a déjà parlé de ça tant de fois.

ANDREA.
On n’est jamais tombé·es d’accord.

MORGAN.
Mais si. Nous sommes contre les hiérarchies, n’est-ce pas ?

Entrée de Gwenn, que personne ne remarque à l’exception des vieilles et du vieux.

GWENN.
Qu’est-ce que j’ai bien dormi ! Il y avait des années que je n’avais pas fait de grasse matinée.

MEREDITH.
Et ça suffit à faire de nous des anarchistes ?

SASCHA.
Moi, je me définis surtout comme bibliothécaire.

GWENN.
D’habitude, c’est le passage du métro qui me réveille.

SASCHA.
Comment organiser une communauté autogérée sans se revendiquer de l’anarchisme ?

GWENN.
Bonjour ! Moi c’est Gwenn. Je peux vous renseigner ?

MME LELIÈVRE.
On venait seulement dire bonjour aux poulots.

MEREDITH.
Si nous nous définissons comme anarchistes on va penser que nous sommes ici pour foutre la merde.

SASCHA.
Qui ça ?

GWENN.
Vous voulez un café ?

SAM.
Parce que tu crois que le village n’est peuplé que de bouseux persuadés que tous les anarchistes prônent l’insurrection ?

M. LELIÈVRE.
On veut pas déranger.

MME DUVAL.
Oh oui un café, c’est une idée.

MORGAN.
Alors maintenant on ne prône plus l’insurrection ?

MME LELIÈVRE.
Non mais on va vous laisser.

MEREDITH.
On peut aussi installer une grande pancarte « Boulangerie insurrectionnelle et bazar anarchiste », on devrait très rapidement s’intégrer au village.

MORGAN.
Et bibliothèque, aussi.

GWENN.
Les enfants, il reste du café ?

ANDREA.
Mais qui veut s’intégrer ? Tu veux t’intégrer ?

SASCHA.
Tu ne veux pas t’intégrer ?

MEREDITH.
Sans un minimum de clientèle, on ne tiendra pas longtemps.

Gwenn déniche un reste de café et le sert aux vieux.

ANDREA.
On n’a encore rien à vendre, ça peut attendre.

MORGAN.
Il y a la bibliothèque.

ANDREA.
Elle est gratuite.

SASCHA.
Ce n’est pas la question !

MME LELIÈVRE.
Tu es un ange. On ne voulait pas déranger.

SAM.
Et « libertaires » ?

ANDREA.
On en a déjà parlé. Morgan redoute une confusion entre libertarisme et libertarianisme.

MORGAN.
Et tu étais d’accord avec moi/

ANDREA.
Et j’étais d’accord avec toi.

M. LELIÈVRE.
On n’a rien contre les anarchistes. On ne pensait pas déclencher tout ça.

ALIX.
“Libertaires de gauche”, alors ?

MEREDITH.
Surtout pas, on nous prendrait pour des socialistes.

GWENN.
Ne vous en faites pas, mes camarades aiment beaucoup débattre et ne laisse jamais passer une occasion de le faire. De l’extérieur on pourrait croire qu’on s’engueule, mais c’est rarement le cas.

SASCHA.
“Acratistes ?”

ALIX.
Quelle merveilleuse idée.

SASCHA.
Merci.

ALIX.
Allons vite accrocher un panneau « Boulangerie, bibliothèque et bazar acratistes », j’entends déjà la clientèle accourir ventre à terre.

SASCHA.
Il faudrait peut-être arrêter de penser en terme d’image de marque.

M. LELIÈVRE.
Et euhhh… Donc euh… Qu’est-ce que ?

ALIX.
Tu as raison.

MME LELIÈVRE.
Qu’est-ce que vous…

M. LELIÈVRE.
Qu’est-ce que vous faites ?

GWENN.
Dans un premier temps, on va apprendre à faire du pain.

MME DUVAL.
Commencez donc par apprendre à faire le café.

MME LELIÈVRE.
Du pain !

M. LELIÈVRE.
Comme c’est intéressant !

MORGAN.
Et il faudrait déjà songer à organiser notre communauté avant de nous ouvrir.

MME LELIÈVRE.
Il n’y a pas de boulangerie au village.

GWENN.
C’est ce que nous on dit Alix et Sam. (Alix et Sam se retournent, tout le monde prend peu à peu conscience de la présence de Gwenn.) Dans l’idéal, on aimerait cultiver nos propres céréales. Et nos légumes. Être autonomes sur le plan alimentaire. On pense qu’il faut en passer par un changement personnel avant de pouvoir changer le monde. Pour nous, ça implique d’être autonomes. Et comment être autonomes si l’on est incapables de se nourrir soi-même ?

MORGAN.
Hé, salut Gwenn, t’es réveillé·e ?

MME DUVAL.
J’ai rarement bu un café aussi infect.

M. LELIÈVRE.
Les poulots, on va vous laisser. Cette maison c’est votre héritage. Vous en faites bien ce que vous voulez.

MME LELIÈVRE.
C’est pareil pour la terre ; maintenant c’est à vous de construire le monde que vous voulez ; nous on est plus les acteurs ; on n’est plus que les figurants ;

Sortie des vieux.
Silence.

SAM.
Alors, « Boulangerie, bibliothèque et bazar autonomes », ça vous va ?

Adelphes – Nous étions Mutants, de Léonie Casthel

Une critique de ma pièce Adelphes – Nous étions mutants !

City is on fire

Dans cet article, nous reviendrons sur l’autrice et metteuse en scène de talent Léonie Casthel, et sur sa dernière publication qui n’est d’autre que Adelphes – Nous étions mutants, aux éditions Lansman (2014) ; couronnée la même année par le prix des lycéens des pièces inédites (l’Indithéâtre)

Léonie Casthel, titulaire d’un baccalauréat en littérature option Histoire des Arts, Latin et Cinéma, poursuit ses études en Lettres Modernes et en Lettres Scandinaves à la Sorbonne, avant de poursuivre ses études à Berlin. Fervente militante et autrice de talent, Adelphes – Nous étions mutants est sa deuxième pièce de théâtre contemporain ; et il me tenait à cœur de vous la faire partager tant cette histoire conjugue habilement pluralité des genres et des trajectoires qui s’unissent et se désunissent au gré de l’histoire. Ces écrits, qu’ils soient lus ou déclamés sur scène nous invitent ainsi à la réflexion, tant ce dont il…

Voir l’article original 469 mots de plus

MILENA (extrait)

MILENA. — Et après ?

LE PÈRE. — Et après on va se coucher.

MILENA. — Mais l’histoire ?

LE PÈRE. — L’histoire est finie.

MILENA. — Mais la suite.

LE PÈRE. — Il n’y a pas de suite. L’histoire est finie.

MILENA. — S’il te plaît.

LE PÈRE. — L’histoire est finie, ma chérie. Tu essaies juste de gagner du temps. On avait dit une histoire.

MILENA. — Je ne veux pas une deuxième histoire. Je veux la suite de l’histoire. Ce qui se passe après.

LE PÈRE. — Après qu’ils ont vécu heureux avec beaucoup d’enfants ?

MILENA. — Oui.

LA MÈRE. — Je t’avais dit que quatre ans c’était encore un peu tôt pour l’ironie et le sarcasme.

LE PÈRE. — Il ne se passe rien après. Ils vivent heureux et c’est tout. (À la mère) Justement, il faut battre le fer pendant qu’il est tôt.

MILENA. — Pour toujours ?

LE PÈRE. — Pour tou — tu vois qu’elle maîtrise très bien le sarcasme. Non pas pour toujours. Au bout d’un moment ils finissent par mourir. Tu te souviens ? On a déjà parlé de ça.

MILENA. — Comme Blanchette.

LE PÈRE. — Voilà. Comme Blanchette.

MILENA. — Et leur beaucoup d’enfants ils sont tristes ?

LE PÈRE. — Ils sont sûrement tristes. Parce qu’ils les aimaient beaucoup.

MILENA. — Alors ils sont pas tellement heureux.

LA MÈRE. — Bim.

LE PÈRE. — C’est plus compliqué que /

LA MÈRE. — Elle a quand même réussi à nous entraîner dans une discussion sur la mort alors qu’elle devrait dormir depuis vingt minutes.

J’admire.

LE PÈRE. — Oui, bravo ma chérie, tu nous as bien attrapés. Maintenant il faut dormir.

MILENA. — Vous aussi ?

LE PÈRE. — Oui nous aussi. On est très fatigués.

MILENA. — Vous aussi vous allez mourir ?

LE PÈRE. — Pas cette nuit.

LA MÈRE. — Enfin on va essayer.

LE PÈRE. — Arrête.

LA MÈRE. — C’est le dernier bisou, d’accord ?

LE PÈRE. — Jusqu’à demain.

LA MÈRE. — Bonne nuit ma grande. Je laisse la porte entrouverte.

Sortie des parents. Noir incomplet. Chuchotements.

MILENA. — Papaaaaaaa !

Un temps.

LE PÈRE. — Oui ?

MILENA. — Viens voir.

Un temps.

LE PÈRE. — (chuchoté) C’était déjà moi la dernière fois.

LA MÈRE. — (chuchoté) C’est toi qu’elle a appelé.

LE PÈRE. — (chuchoté) La prochaine fois c’est toi.

MILENA. — Papaaaaaaaaaaa !

LE PÈRE. — Oui ma chérie ?

MILENA. — Il y a quelque chose sous mon lit.

LE PÈRE. — Ma douce, tu as fait un cauchemar ?

MILENA. — J’ai pas dormi. Il y a quelque chose sous mon lit.

LE PÈRE. — Ma grande, il n’y a rien sous ton lit.

MILENA. — Il y a quelque chose sous mon lit.

LA MÈRE. — Ma chérie, les monstres n’existent pas. Ils sont seulement dans ta tête.

MILENA. — Les monstres ?

LA MÈRE. — Ils sont dans ton / imagination.

MILENA. — Il y a un monstre sous mon lit ? Comment tu sais que c’est un monstre ?

LE PÈRE. — J’avais la situation bien en main.

LA MÈRE. — J’ai vu ça. Tu étais à deux doigts de vérifier.

LE PÈRE. — Et quoi, si ça peut /

LA MÈRE. — Tu sais très bien qu’il ne faut jamais vérifier. Ça donne l’impression qu’il est possible qu’il y ait effectivement / quelque chose…

LE PÈRE. — Il vaut mieux lui donner l’impression qu’on ne la croit pas / et qu’elle ne peut pas compter sur…

LA MÈRE. — Et ça y est, ça va être moi la méchante. C’est facile de / toujours…

MILENA. — / Maman ?

LE PÈRE. — Oui, c’est facile ! Pourquoi est-ce que tout devrait toujours être difficile !

MILENA. — Maman ! Je crois qu’il y a quelque chose dans mon lit !

LA MÈRE. — Voilà, maintenant c’est dans son lit.

LE PÈRE. — Si ça se trouve, il y a une araignée.

LA MÈRE. — Peut-être même une tarentule ou un boa constrictor.

LE PÈRE. — Ne dis pas / ça.

LA MÈRE. — Ma grande, il n’y a rien dans ton lit.

MILENA. — J’ai rien dit. C’est pas moi.

LA MÈRE. — Il n’y a rien dans ton lit, d’accord ? Regarde.

LE PÈRE. — Je croyais qu’il ne fallait pas vérifier ?

LA MÈRE. — Je croyais qu’il y avait une araignée ?

MILENA. — Maman ? Je crois qu’il y a quelque chose dans mon lit.

LA MÈRE. — Je viens de te dire, tu as bien vu /

MILENA. — Papa ! Il y a quelque chose sous mon lit !

LA MÈRE. — D’accord, c’est une blague ? Vous avez manigancé ça tout les deux ! Bravo, bien joué, désolée d’être terre-à-terre mais bravo, vous avez réussi à me faire douter. (Elle sort.)

LE PÈRE. — Mais qu’est-ce que tu vas t’imaginer. Tu crois que je n’ai que ça à faire à cette heure-ci, qu’est-ce que tu crois, moi aussi ça me — (Il sort. Off) Elle a quatre ans, c’est normal, ça fait partie du processus de /

LA MÈRE. — (off) Elle teste nos limite, comment veux-tu qu’elle les intègre si tu lui passes / tout.

LE PÈRE. — Je ne lui passe pas tout. Bon, moi je vais me / coucher.

LA MÈRE. — C’est ça, va te coucher.

LE PÈRE. — Ne me dis pas ce que je dois faire.

MILENA — Papa ?

MILENA sort de sous le lit. Les deux MILENA se regardent en silence.

MILENA. — Papa, maman. Il y a quelque chose dans mon lit.

Les deux MILENA s’observent de près, reculent, se reniflent, se tournent autour. On ne sait plus laquelle est laquelle.

MYLÈNE. — C’est depuis ce jour que je ne m’appelle plus Milena.

Seulement Mylène. Et toi on t’a appelée Léna avec la fin de mon nom.

LÉNA. — N’importe quoi.

MYLÈNE. — Tu as oublié ?

LÉNA. — Bien sûr que non. C’était moi Milena. Je m’en souviens très bien.

MYLÈNE. — Non. C’est toi qui étais sous le lit.

LÉNA. — Ça prouve rien.

MYLÈNE. — Bien sûr que si. C’était moi Milena. Et toi tu étais sous mon lit.

LÉNA. — C’était moi Milena. C’est toi qui m’as volé le début de mon prénom.

MYLÈNE. — Non c’est toi. C’est à cause de toi qu’on m’appelle la vilaine fermière.

LÉNA. — « Je, je ! »

MYLÈNE. — Quand c’est pas /

LÉNA. — « Suis libertine-euh ! »

MYLÈNE. — Arrête ! T’as pas le / droit

LÉNA. — « Je ! Suis une… »

MYLÈNE. — Papa !

LÉNA. — J’ai rien dit !

MYLÈNE. — Léna elle m’a traitée de catin !

LÉNA. — C’est même pas vrai je l’ai pas dit.

MYLÈNE. — Tu l’as presque failli.

LÉNA. — Je l’ai pas dit.

MYLÈNE. — Tu as dit libertine.

LÉNA. — C’est pas pareil.

MYLÈNE. — Tu sais même pas ce que ça veut / dire.

LÉNA. — Si, je / sais.

MYLÈNE. — Tu sais / pas.

LÉNA. — Si, je /sais.

MYLÈNE. — Non / tu sais pas.

LÉNA. — C’est toi qui sais pas.

MYLÈNE. — Si, je sais. C’est toi qui sais pas.

LÉNA. — Ça veut dire libre.

MYLÈNE. — Tu vois : tu sais pas.

LÉNA. — Maman hein que libertine ça veut dire libre ?

MYLÈNE. — Si ça voulait dire libre on dirait libre.

LÉNA. — C’est un synonyme !

MYLÈNE. — Tu sais même pas ce que c’est un synonyme.

LÉNA. — Si, je sais. C’est toi qui sais pas.

MYLÈNE. — Papa hein qu’une libertine c’est pas libre ?

LE PÈRE. — (off) Ça suffit. Les libertines je ne sais pas, mais vous, vous allez vous coucher.

MYLÈNE. — Tu vois, ça veut dire que j’ai raison.

LE PÈRE. — (off) Brosser les dents, pipi, au lit.

LÉNA. — Non. Ça veut dire que j’ai raison.

LE PÈRE. — (off) Les filles ! Qu’est-ce que j’ai dit ?

MYLÈNE. — On n’est pas les filles. Moi je suis Mylène et elle c’est Léna.

Ballade des Meufs du temps présent

[À chanter sur l’air de la Ballade des Dames du temps jadis]

Dissidentes de tous pays
Héroïnes de tous horizons
Révoltées contre l’infamie
Résistantes à l’oppression
On vous a appelées sorcières
Quand vous viviez à votre guise
Loin des injonctions populaires
Auxquelles vous restiez insoumises
Loin des injonctions populaires
Auxquelles vous restiez insoumises

On a cherché à vous faire taire
Mais nous vous avons entendues
Nous sommes vos héritières
De nous vous n’serez pas déçues
Quand toutes les meufs de la Terre
Se révolteront en même temps
Les misogynes f’ront moins les fiers
Sans les jupes de leur maman
Les misogynes f’ront moins les fiers
Sans les jupes de leur maman

Combattons, et avec courage
Conquérons notre liberté
Les rageux vont avoir la rage
Et nous, on va bien s’amuser
Entre sœurs soyons solidaires
Et si les hommes sont pas contents
Ils finiront cis pieds sous terre
Ils font chier depuis trop longtemps
Ils finiront cis pieds sous terre
Ils font chier depuis trop longtemps

Chanson écrite lors de l’atelier d’écriture de l’événement Sheroes, à plusieurs mains avec Camille Bodin, Edgar Marteau, Chloé Bégou, Daria Ivanova, Chloé Vos et moi-même

Quartette internet à Lyon

Ma pièce courte Quartette internet sera interprétée samedi 24 septembre par les élèves du lycée Belmont à Lyon, avec les textes de mes camarades de plume Lucie Vérot, Xi Liu, Mathilde Soulheban, Pablo Jakob et Nicolas Barry.

Deux déambulations dans le quartier de la Guillotière, départ à 13h45 et 14h30 du lycée 41 rue Pasteur, puis intégrale à 20h30 au lycée.

27

Il y a encore quelques années les tarifs jeunes s’arrêtaient à 25 ans
Et les rockstars mouraient à 27 ans.
Aujourd’hui, on est jeune jusqu’à 28 ans
Parfois même 30.
Et les stars décèdent à 69 ans.
Alors notre peau reste jeune le plus longtemps possible
Mais tout de même, il faut grandir, ne pas s’attarder dans l’adolescence, ne pas être des gamins
Parce que les gamins sont naïfs, et il ne faut pas être naïf.
Il faut survivre.
Et puis les jeunes d’aujourd’hui ne savent pas ce que c’est le rock. Le vrai.
Celui qui vit si vite qu’il en meurt jeune.
Il m’arrive de me sentir hyper adulte.
Je règle un problème, je prends une initiative, je remplis de la paperasse, je cesse de fuir, je frappe au lieu de faire semblant de dormir, je parle à quelqu’un, je retrouve mon chemin.
Et je me sens hyper adulte.
C’est sûrement la preuve que je ne suis pas une adulte.
Le serais-je si les nuits blanches avaient perdu de leur superbe
Et les verres de vin leur goût d’interdit ?
Le serais-je si marcher dans la rue n’était plus une aventure ?
Si je l’étais, comprendrais-je enfin la langue ou comme tout le monde ferais-je semblant ?
Croyez-le
Les jeunes de nos jours écoutent toujours
Jim Morrison, Jimi Hendrix, Janis Joplin
Cobain et les échos de leur voix morte qui reste vivante
La voix de la jeunesse éternelle
Celle qui meurt à 27 ans.

Aujourd’hui j’ai 27 ans.
Est-ce que ma jeunesse doit mourir ?

Ma muse, mon museau

Viens regarder le vol des grands corbeaux

Sans parler

S’il te plaît

Reste à mes côtés pour dessiner

une autre femme qui pourrait être moi

Si tu veux t’en aller

Laisse-moi encore une fois

marcher dans tes pas

Et si nos os se changent en bois

qu’on en fasse un feu de joie

Brûle à mes côtés au soleil de minuit

ou partons sillonner en train la Sibérie

S’en aller

Sans parler

esquisser des hypothèses

qui peut-être seront vraies

ouvrir notre parenthèse

ne la refermer jamais

Profitons d’une éclipse

et de notre propre apocalypse

pour inventer un nouvel avenir

Ils peuvent bien tout bombarder

Ils peuvent tout salir

Il y aura toujours des arbres auxquels s’attacher

des fleurs à ne pas cueillir

des rêves à enfanter, des familles à construire

Alors viens

Vivons sans rien de notre glèbe et de nos rires

Couchons-nous dans les herbes

Sans les flétrir et rappelle-toi

quand je passais devant toi

Tu aimais déjà mon espèce d’aura

Je n’étais pas encore là que tu m’aimais déjà

que nous faisions les quatre cents coups et l’amour à vingt ans

et que je rêvais au monde où faire pousser nos enfants

Alors si tes plaies suppurent, laisse-moi baiser tes blessures

Et puis viens

Partons où tu voudras

ermites dans la lande ou citadins de villes hallucinantes

bergères des villes ou touristes du monde

Ou reste là

Je reviendrai toujours vers toi

dans les bras des gamins nourris de soleil et de vent

Ou bien seule à genoux sur un traîneau tiré par des chats

des forêts norvégiennes

Alors viens

Viens

Et ne lâche pas ma main

quand tu viendras respirer le monde d’oxygène

qui se niche entre mes seins

Souffle

Lumière de matin incolore.

Comme un coassement :

Tu es déjà levée ?

Toussotement.

Tu es déjà levée ?

Ton oreiller est déjà frais. Je pourrais te le piquer pour y repiquer du nez. Mais toi déjà levée, pas normal. On pourrait presque s’en inquiéter.

Tu prends ta douche ? Tu prends ta douche et tu ne m’entends pas te parler.

Mais je n’entends pas la douche.

Tu prépares le petit-déjeuner ? Je ne sens pas le pain grillé ni n’entends la cafetière gargouiller. Et tu m’entendrais si tu étais dans la cuisine.
Tu fais pipi ? Mais tu m’entendrais des toilettes. Notre appartement n’est pas si grand.

Tu es sortie acheter des croissants !

Mais non. Il pleut. Dommage. Mais si. Il faisait beau quand tu t’es réveillée, un rayon de soleil qui t’a chatouillé les paupières, et alors, ou bien tu as eu une de tes insomnies, la nuit entière passée à scribouiller des notes sur tes portées, et alors quand le soleil s’est déjà levé, tu n’as pas voulu te coucher, tu as préféré me réveiller avec l’odeur des croissants frais. Et peut-être qu’en passant devant une terrasse de café tu as voulu t’y poser un peu fatiguée. Et puis la pluie. C’est ça voilà c’est ça. Alors la pluie a tout gâché.

Décroche, s’il te plaît. Je sais bien que tu n’es pas là, sinon je ne t’appellerais pas.

Avec ton premier café, ou peut-être un thé, pour changer, tu fumes cigarette et puis cigarette, tu te fabriques une voix à la Jeanne Moreau, tu fumes en rêvassant, en regardant la pluie goutter de l’auvent de la terrasse, de l’auvent ou du hauvent ? De l’auvent, et le rythme des gouttes t’inspire une chanson, alors tu l’écris, plongée dans tes pensées tu n’entends pas mes appels, ou le bruit de la rue les couvre, tu n’entends pas tous mes appels, ou tu t’en fous.

Tu t’en fous de moi, sinon tu aurais laissé un mot.

Mais tu pensais rentrer avant mon réveil, et maintenant que la surprise est gâchée par la pluie, tu préfères manger les croissants toute seule en terrasse, en écrivant une chanson, ou en fumant et en rêvassant. Peut-être en rêvassant à moi. Peut-être que tu rêvasses tellement de moi que tu n’entends pas mes appels. Ce serait drôle. C’est comme ça la vie. On s’est suicidé pour moins que ça. Roméo et Juliette.

Décroche, putain. Décroche, je t’en prie. Pyrame et Thisbé. Je déconne, je ne vais pas me suicider. Peut-être que tu m’as laissé un mot, si ça se trouve. À un endroit stratégique. Il va tomber du pot de café quand je voudrai me réveiller. Ou alors scotché au couvercle des toilettes quand je voudrai pisser. Ce serait drôle. Ce serait bien de toi. Non, dommage. Sur le miroir de la salle de bain, au rouge à lèvres. Non, ça c’est pas toi. Dans la douche. Dans la poche de ma veste. Dans la poche de mon pantalon. Dans mes chaussures. Dans le tiroir à sous-vêtements, au milieu des culottes. Dommage. Dans l’évier. Dans la poubelle. Sur ton bureau, bien sûr, la lettre volée, au milieu de tes partoches. Non. Dommage.

Putain, décroche ! Décroche, putain.

Je vais finir par m’inquiéter. Tes affaires sont toujours là. Enfin, je ne sais pas si elles y sont toutes. Peut-être que tu as fait un tout petit bagage, pour t’enfuir discrètement. Mais fuir quoi ? On ne s’est pas disputées. Peut-être que tu t’ennuyais. Tu as encore fait une insomnie. Tu as passé la nuit à errer dans l’appartement. En fumant tu m’as regardée endormie, et tu m’as trouvée moins belle qu’avant. Ou alors tu ne m’as pas regardée endormie, tu t’es rendu compte que tu n’aimais plus me regarder dormir. Et tu es partie.

Ou alors tu avais un rendez-vous cette nuit. Tu savais que tu ne risquais pas de me réveiller, moi la balourde au sommeil aussi lourd que mon amour. Tu es partie passer la nuit dans les bras d’une autre, ou d’un autre. Ou de plein d’autres. Tu pensais rentrer sagement à l’aube mais ton corps épuisé s’est endormi de plaisir. Ahhh ! Je ne voulais pas frissonner de dégoût. Je n’ai pas fait exprès. De toute façon tu t’en fous. Tu n’es pas là pour le voir. Tu n’es pas là. Décroche s’il te plaît.

Peut-être que tu regrettes et que tu n’oses pas rentrer. Tu sais que je te devine. Tu sais que je te sais. Peut-être que tu as peur de me dégoûter. Mais je m’en fous des autres, mon amour. Je m’en fous presque. Si tu regrettes et que tu rentres maintenant, je te pardonne.

Je compte jusqu’à trois.

Un.

Deux.

Je te laisse encore un quart d’heure.
Je t’aime trop, je pourrais te pardonner n’importe quoi. Mais reviens. Tu vas revenir avec l’odeur d’un autre sexe sur toi. Je le sentirai et je ne dirai rien. Tu prendras ta douche et tu redeviendras comme avant. Et je te prendrai dans mes bras, et il n’y aura que toi et moi. Et l’empreinte de ses mains sur tes seins. Ton beau corps souillé par ses baisers. Baisée. Mais reviens. Je te laisse encore une heure pour rentrer. Après je serai intraitable. Reviens. Décroche s’il te plaît. Je sais que tu n’es pas là, bordel, c’est bien là le problème. Non je ne veux pas te laisser de message. C’est toi qui aurais dû me laisser un message. Si tu tenais à moi. Si tu tenais un tout petit peu à moi.

Je vais faire semblant d’être dans un film et aller pleurer sur le lit. Si tu devais rentrer je n’ai pas envie d’être en train de chialer sur le siège des toilettes ou de baver des larmes sur le carrelage de la cuisine. Je vais mettre ma belle robe de chambre en velours et m’allonger sur le lit avec quelques larmes très dignes. Je ne sais pas pourquoi c’est toujours sur un lit qu’on est censé chialer. Les ravages de Disney. Je vais d’abord me passer de l’eau sur le visage. Parce que je ne suis déjà plus très digne. Si tu devais rentrer maintenant tu aurais envie de repartir immédiatement. Qu’est-ce que je raconte, si tu devais rentrer, tu vas rentrer.

Maintenant.

Je compte jusqu’à trois.

Un.

Non, j’ai dit que je te laissais encore une heure. Un peu moins maintenant. Qu’est-ce que je vais faire en attendant ? Je ne vais pas pleurer sur le lit pendant une heure. Tu vas rentrer et je serai une momie desséchée. Je serai une chips. Ou noyée dans un lac d’eau salée. Sur le lit. Dans ma belle robe de chambre en velours. C’est déjà ça.

J’ai faim. Mais si tu rentres pendant que je bouffe des tartines tu vas penser que je ne me suis pas inquiétée. Tu vas penser que je m’en fous, que peut-être je t’aime un peu moins qu’avant, un peu moins passionnément. Tu vas penser que tu peux faire ça souvent. M’abandonner avant le lever, et puis me retrouver en train de me bâfrer sans pleurer. Tu vas penser que je n’ai pas besoin d’explications. Tu vas penser que tu peux t’en tirer comme ça. Ou tu croiras que je ne t’aime plus et tu seras blessée. Et tu vas me quitter. Mais non tu n’es pas comme ça. Tu n’es pas de celles qui ont besoin d’être possédées pour se sentir aimées. Tu es tellement mal tombée sur moi, mon pauvre amour.

Qu’est-ce qu’il vaut mieux, que tu me retrouves en train de manger du pain grillé mouillé de larmes, ou que tu me retrouves très digne sur le lit en train de gargouiller ? Je vais prendre de quoi manger dans la chambre. Si j’entends la porte s’ouvre, non, quand j’entendrai la porte s’ouvrir, j’aurai le temps de cacher l’assiette sous le lit. Et puis de m’y jeter avec mes beaux cheveux épars sur les épaules découvertes par le velours de la robe de chambre, les lèvres gonflées de chagrin mais pas les yeux, pas trop, il ne faut pas que tu me méprises. Il faut juste que tu te sentes coupable.

Qu’est-ce que je raconte. Quelle horreur. Je me fais horreur. Je te ferais horreur aussi si tu m’entendais. Heureusement que tu n’as pas décroché. Qu’est-ce que je raconte. Décroche. Décroche, s’il te plaît.

Je ne fais pas semblant. Je te jure. Je me vautre vraiment dans les larmes et l’angoisse, et la morve, et j’en fous partout sur le lit parce que je m’en fous de ce lit si je ne le partage plus avec toi.

Salope.
Je t’aime, s… salope. J… je t’aime, j… Je.

Elle prend la carafe d’eau, s’en sert précautionneusement un verre, puis se le vide sur la tête. La carafe explose sur le mur.
Noir.
Fracas.
Silence.

C’est quoi ça ?

Lumière. Elle tient une lettre à la main. L’attendue entre. La pièce est totalement détruite.

Il était là.

Quelle cruche.

Quelle cruche je fais, même pas regardé sous l’oreiller.

Pardon mon amour. Merci mon amour. Pardon d’avoir douté.

Long silence. Noir.
On entend la porte se refermer.

Lectures théâtrales à l’ENSATT

Mes camarades d’écriture de l’ENSATT et moi-même mettons en lecture nos dernières pièces de théâtre les 10 et 11 mai à 19h, 4 rue Sœur Bouvier 69005, en salle 107. Entrée libre.

Mardi 10 : textes de Pablo Jakob, Mathilde Soulheban et Lucie Vérot.
Mercredi 11 : textes de Nicolas Barry et Léonie Casthel.

Certains garçons se maquillent

Quintette Internet

Ma pièce courte Quintette Internet sera présentée en lever de rideau au théâtre Le Préau à Vire, lors du Festival ADO !

Mardi 26 avril :
Représentation à 19h30 avec Carla, Elaura, Eloïse, Lilian et Simon.
Représentation à 20h avec Amandine, Ben, Carla, Edgar et Eloïse.

Mon drapeau ne sera plus rouge.

Le sang du peuple a séché dessus.

Le sang des ouvriers l’a trop longtemps éclaboussé. Mais les ouvriers n’ont plus de sang. Les ouvriers n’ont plus de pain. Les ouvriers sont exsangues de n’avoir plus de pain.

Notre drapeau rouge fut toujours celui de la liberté. La liberté qui effraie les bourreaux, et le drapeau vermeille de notre sang.

Le sang a séché, ne flotte que le noir au-dessus de nos têtes dans l’aurore qui se lève. Le drapeau noir de notre deuil, le drapeau noir sur nos espoirs.

Ceux-là qui ont un jour tissé ce jupon noir, il y a plus de cinquante ans qu’ils ont descendu les pentes de la Croix-Rousse derrière leur drapeau noir.

Les barricades se dressaient, et les canuts se dressaient sur les barricades, et le drapeau claquait en hurlant leur volonté de vivre en travaillant, sinon de mourir en combattant.

Mon jupon noir prend la relève, au bout de mon manche à balai.

Vendredi 1er avril à 20h, je lirai mes textes à l’Atelier des Canulars à Lyon, accompagnée du cantautor Nicolás Rodrigo Miquea qui jouera ses magnifiques chansons.

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Scène Poétique

Mercredi 18 novembre à 18h30, je participe à une soirée de poésie contemporaine à l’ENS de Lyon, avec les poètes Alexis Cabut, Emanuel Campo, Pierre Causse, Melchior Liboa, Laurence Loutre Barbier, Igor Myrtille et Elsa Rocher. L’entrée est libre.

Le ciel est morcelé au dessus des escaliers.
Il ne s’allonge plus comme un chat dans la chaleur des chemins de fer.
Il n’y a plus de nuages qui se déchirent en rouge et gris.
Il n’y a plus rien quand il fait noir.
La langue sans tréma ne chuinte pas,
Et dans les parcs les bouteilles vides ne se ramassent pas.
Les parcs sont fermés.
Et personne n’y chante.
Dans les chambres étroites les fenêtres ne s’accouplent pas.
Il n’y a pas de piscine dans les boîtes libertines.
Il n’y a pas de limonade au sureau.
Il y a peu de vélos.
Il n’y a pas de place dans le métro
Ni sur les escaliers du fleuve,
Et les photomatons sont en couleurs réglementaires.
Il n’y a pas de renards dans la ville
Mais il y a de la viande.
Je ne vais plus me perdre à côté de chez moi
Dans les odeurs d’épices et de neige piétinée.
Je ne vois plus le soleil se lever en vibrant sous les basses.
Je ne vais plus là où c’est beau
Boire du maté glacé au bord de l’eau
En sachant que je pourrais tomber.
Mais je remonterai les escaliers
Et j’irai voir
Valparaiso.

Lectures poétiques et théâtrales au Monde en Bouche à Lyon vendredi 30 octobre à 20h — et concert de Nicolás Rodrigo Miquea.

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Rituel

Le blanc se dore sous la chaleur. La crête des montagnes va parfois jusqu’à noircir. Un grésillement, un bruit d’explosion, des grésillements.
Le translucide s’opacifie autour du soleil rond piqueté d’un point rouge comme une blessure. L’aura va parfois jusqu’à noircir, quand le soleil n’est plus fondant.
La mer bouillonne plus fort quand on y plonge quelque chose. Des tiges chevelues qui s’adoucissent en s’entremêlant. Souvent trop câlines, il vaut mieux les oindre d’huile pour que ça ne dégénère pas.
Le blond vire au roux en crépitant dans une odeur de sueur. Je découpe des cœurs qui vont rejoindre les oignons dans la poêle. Il faut manger vite avant que ça refroidisse.
Après, j’ai trop mangé. J’ai trop mangé de monde.

Femmes de théâtre, politique et féminisme

Vendredi 16 octobre, je participe à une soirée sur le thème « Femmes de théâtre, politique et féminisme Chili, Mexique, Espagne, France » qui aura lieu au NTH8, Nouveau Théâtre du 8ème arrondissement de Lyon.

Rencontres, communications, débats
En présence de
Patricia Artes et à partir de l’expérience menée à Santiago du Chili par Teatro Publico avec la création Otras sur la situation des femmes chiliennes,
Carmen Resino, autrice, fondatrice et présidente de l’Association des Dramaturges Espagnoles (sous réserve),
Lorraine Wiss, Université Lyon 2, autour de sa thèse
Le féminisme dans le théâtre français de 1960 à nos jours.
Léonie Casthel (HF Rhône-Alpes) et Marine Bachelot Nguyen (HF Bretagne), Autrices de théâtre feministes, autour de leur engagement pour l’égalité femme-homme et de leur parcours artistique.

Accompagnées de lectures bilingues espagnol/français mises en jeu par Sylvie Mongin-Algan.

Avec la maison d’édition L’Atelier du Tilde, les traductrices Julia Cultien, Adeline Isabel-Mignot et Ana Benito, Alizée Bïngollü, Anne de Boissy, Nicole Mersey …

gratuit

Soirée proposée dans le cadre de la Quinzaine de l’égalité Femmes-Hommes de la Région Rhône-Alpes et de la coordination des structures du 8e – Culture XXelles. En partenariat avec Le comité 8.1, la Mairie du 8e, la Médiathèque du Bachut, la Maison de la Danse, les Centres Sociaux du 8e, la MJC Monplaisir, la MJC Laënnec-Mermoz/Salle Genton, Ébulliscience, le Musée Urbain Tony Garnier.

Je crois que ça risque d’être très intéressant. N’hésitez pas à partager l’événement Facebook.

Peut-être à vous y voir !

The City of the Dogs and the City of the Thin-nosed Fish

They are behind the door. I know it because of the fire smell of their torches. I cannot hear them. My blood is pulsing too loud against my temples.

They are there, eager for revenge. Revenge against you who didn’t do anything. Revenge against you who are now still squeezing up your warm body against mine, to comfort me. Your head in my neck, your cheek against my cheek. Like you always did. But tonight I know this is my turn to protect you. I know I am the only one able to save you. But I also know I am all alone and disarmed, facing those barbarians. I am too small. They are too crazy.

The ribbon glides from my hair while I am rocking you like a child.

The ribbon glides around your neck and you do not move.

The ribbon tightens around your neck and the house door flies into pieces.

You moan for the last time. Very softly. You don’t complain. You just want to comfort me for the last time : it’s gonna be all right, they will not get me.

They will not get you. They will not get you.

They didn’t get you.

I am closing your golden eyes when they find us hidden under the table. Your body is still warm when they grab you. My fingers cling on to your fur. All my life this fur warmed me up. On the morning, my first contact with the world. And every night I could sleep only feeling your warmth against my bare skin. And tonight you are gone, and they want to take you away from me.

They didn’t have you death, they will not have your body. And I hang on to you. I cling to you. But I am too little. I am too little and they take you away from me. Those disgusting fish worshippers are taking you away from me. They are snatching you from my arms, those disgusting dog-eaters. And I scream, like I never did before. I scream like I never shouted at my mother during an argument, because always you have been there to calm me down. I scream like I never did to extirpate myself from a nightmare, because always you have protected me. I scream when their blade sink into your neck. Your neck still adorned with my ribbon that killed you. I scream when your fur turn to red. I scream too loud to hear the noise of your head when it falls on the floor. I am still screaming when they abandon me cowering on the beheaded corpse of my dog. I am screaming the face in your soiled fur.

I am not screaming anymore when my parents return from the fields. I am done with screaming.

The door is smashed.

My lashes are stuck up.

The salt on my red cheeks.

The ash on my head.

My shaved head.

My shaved body.

The down between my legs, annunciating I would soon be nubile, I shaved it. My hair, I shaved it. All my body, shaved, like the razor cut your throat, like the death stole your fur.

Your fur, I kept it.

Your fur, I will always keep it. It will be mine from now on.

That is the day I grew up.

You do not enter into adulthood. You fall into it. You never get up.

It is not the blood one day I found in my pants, it is not the change of my body, it is not the change of my voice that transformed me. It is your blood, it is the loss of your body, it is the loss of you. And with this loss, all my world fell apart.

That is the day I grew up, when I understood the fish we ate here were gods in the next village. When I understood that dogs who were our gods were eaten in the next village.

When I understood in other villages they had other gods.

When I understood in other villages they could eat fish and dog.

When I understood in other villages they didn’t have any god.

That is the day I left.

The house had become too empty. The house was full of your absence. The house was full of your death. The whole village was still resounding with your death. And our men were already sharpening their knives to avenge you. I understood there would always have gods or dogs to kill. That is the day I left my parents and my religion.

I wanted to grow up, I wanted to toughen up. My mother used to say : a good library is the treasure of the remedies of the soul. I went to Alexandria and I saw the scrolls. All the wisdoms of the world stacked on each other. I wanted to eat everything. I wanted to understand everything. But the wisdoms of the world tread on each other’s toes. What a book says, another one can deny it. In one book, aquatic turtle is a harmless animal. It is responsible of drought in another one. In another one, it is responsible for the Nile flood. It is an evil symbol in another one.

I read all that and I understand. I understand books are only humans like others, but the madness is more powerful. I understand books contain more power than wisdom. I understand to change the world you have to change the books.

Ambushed. I am waiting. That’s it. The companion whistled. The heat inflaming my cheeks is only mine yet. Crouching in the dust, I unsheathe my bow, my board, put a stick in it. Turn and turn and flip. Sawdust accumulates. My hands are shaking. Sawdust is heating but doesn’t ignite. I accelerate the movement of the bow. I blow. The ember comes, that I cover with dry grass. The companion whistles, a second time. I open the flask, and plunge in it the tupe of my arrow, covered with fabric. At my feet, the heap of grass is starting to ignite. Quick, before our light are spotted. I pass the ring on my thumb. I plunge the arrow into the fire. I strip my muscles and my bow. The companion whistles a third time. I let go of the bowstring. I do not shake anymore. All our burning arrows attack the misleading library. And we do it again. My body is moving by itself. In the darkness around me, I can feel without seeing them my comrades performing the same gesture as me at the same time. My arrow plunges into the alcohol. My arrow plunges into the fire. As a ritual dance. My bowstring tightens. The companion whistle. All our arrows reply while cutting through the air. They join the beginning of the fire. Books : it burns well. And we do it again. Arrow, alcohol, fire, bowstring, whistle. And we do it again. People are screaming around me I think, running, fleeing, struggling. And we do it again, do it again, do it again. Excited. Alive. Victorious. And we do it again. I would not have avenged your death. I would not have tried to avenged you. I wanted your death not be in vain but it was. You died innocent, punished for being. You died innocent, punished for not being a god. You were punished there are no gods.

I haven’t avenged you, I have punished the culprit.

My mother used to say : a good library is the treasure of the remedies of the soul.

I say : a good library is a burning one.

Tournée estivale

Ce mois-ci je fais une tournée théâtro-musicale avec le cantautor Nicolás Rodrigo Miquea.

L’idée globale est que nous partions de Paris pour aller dans le sud, plus précisément les Pyrénées Orientales, avec possibles détours, éventuellement hors de France.

Nous ajouterons au fur et à mesure les dates et lieux de nos représentations.

Contactez-nous sur ce site, Twitter ou Facebook si vous avez des lieux à nous recommander, ou que vous souhaitez que nous passions vous voir !

À bientôt !

  • Samedi 18 juillet à Paris : concert et lecture à 20h à La Folie Douce, « bistrot belgétarien » 111 Bd de Ménilmontant.
  • Jeudi 23 juillet à Dijon : 21h au Black Market, 59 rue Berbisey.
  • Vendredi 24 juillet à Dijon : 19h au Vieux Léon, 52 rue Jeannin.
  • Samedi 25 juillet à Dijon : 19h30 au Chez Nous, 8 rue Quentin.
  • Vendredi 31 juillet à Urbanya (près de Prades, Perpignan) : 18h à la mairie

Je suis

Je suis là
Je suis la rue
Je suis le ru
Je suis les rues
Je suis les bruits
Je suis la bruine dans la rue
Je suis les bruits de la rue
Je suis l’enfant des rues
Je suis l’enfant de mes parents
Je suis l’enfant que mes parents
Je suis l’enfant que mes parents ont rêvé
Je suis cet enfant de mes parents
Je suis cet enfant qui marche devant moi
Je suis cet enfant que je ne rattraperai pas
Je suis cet enfant rêvé que je ne serai jamais
J’ai rêvé d’être cet enfant rêvé
J’ai rêvé d’être cet enfant que mes parents ont rêvé
J’ai rêvé d’être l’enfant que je ne serai jamais
J’ai rêvé d’être l’enfant que je ne saurai jamais être
Je ne saurai jamais être cet enfant que je ne serai jamais
Je suis l’enfant de mes parents déjà
Je suis l’enfant de mes parents c’est déjà ça
Je suis l’enfant de mes parents déjà mais jamais je ne serai cet enfant rêvé que je suis sans le rattraper
Je suis cet enfant dans les rues
Je suis les rues de cet enfant
Je suis les rues vides de cet enfant
Je suis à la rue
Je suis à la ruine
Je suis la ruine de cet enfant
Je suis la ruine de l’enfant rêvé de mes parents
Je suis les ruines le long des rues
Je suis les ruines des rêves de mes parents
Je ruine les rêves de mes parents
Je rêve les ruines de cet enfant
Je rêve les ruines des rêves de mes parents
Je rêve l’air
Je rêve les rues
Je rêve les ruines
Je cours les rues
Je cours les rues des rêves
Je suis la rue des rêves de mes parents
Je rue
Je ruine
Je ruine les rêves
Je ruine l’air
Je rue dans les rêves de mes parents
Je rue dans les rêves et les rues
Je suis ma rue
Je suis ma rue et pas celle de mes parents
Je suis ma rue
Je suis ma ruine
Je suis, je crois
Je suis, je crie
Je crie ma ruine
Je crée ma ruine
Je crée mes rêves
Je crie ma ruée
Je crie ma rue et mes rêves
Je crée les ruines de mes rêves
Je crie mes rêves
Je suis mes rêves
Je suis mes rêves et pas ceux de mes parents
Je rêve de suivre les rêves
Je rêve de suivre mes rêves et les rêves de mes parents
Je rêve de suivre mes rêves et les rêves de mes parents ne me suivent pas
Je rêve de suivre mes rêves et les rêves de mes parents ne suivent pas mes rêves
Je rêve que je suis la ruine de mes rêves
Je rêve que je suis lent
Je rêve que je suis l’enfant rêvé
Je rêve que je suis l’enfant rêvé de mes parents
Je suis l’enfant de mes parents
Je suis enfant
Je suis laid
Je suis les ruines de cet enfant rêvé
Je suis les ruines de cet enfant-rêve
Je suis les ruines de mes rêves
Je suis mes rêves
Je suis ma ruine
Je suis ma ruine
Je suis ma ruine
Je suis ma ruine
Je suis ma ruine
Je suis ma ruine
Je suis ma ruine
Je suis. Marre.

La ville des chiens et la ville des poissons au nez fin

Ils sont derrière la porte. Je le sais à l’odeur de brasier de leurs torches, je le sais à l’odeur de métal des chiens égorgés. Je ne les entends pas. Mon sang cogne trop fort contre mes tempes. Ils sont là et réclament vengeance. Vengeance contre toi qui n’as pourtant rien fait. Vengeance contre toi qui à cet instant presses encore ton corps chaud contre le mien pour me réconforter. Ta tête dans mon cou, ta joue contre ma joue. Comme tu l’as toujours fait. Mais ce soir je sais que c’est à moi de te protéger. Je sais que je suis seule à pouvoir te sauver. Mais je sais aussi que je suis seule et désarmée face à ces barbares. Je suis trop petite. Ils sont trop fous.
Le ruban glisse de mes cheveux tandis que je te berce comme un enfant.
Le ruban glisse autour de ton cou et tu ne bouges pas.
Le ruban se resserre autour de ton cou et la porte de la maison vole en éclats.
Tu gémis une dernière fois. Très doucement. Tu ne te plains pas. Tu veux juste me rassurer une dernière fois : ça va aller, ils ne m’auront pas.
Ils ne t’auront pas. Ils ne t’auront pas.
Ils ne t’ont pas eu.

Je ferme tes yeux d’or quand ils nous trouvent cachés sous la table. Tu es encore chaud quand ils s’emparent de toi. Mes doigts s’agrippent à ta fourrure. Toute ma vie cette fourrure m’a réchauffée. Au réveil le matin, mon premier contact avec le monde. Et tous les soirs je me laissais aller au sommeil seulement en sentant ta tiédeur contre ma peau nue. Et ce soir tu n’es plus, et on veut t’enlever à moi.

Ils n’ont pas eu ta mort, ils n’auront pas ton corps. Et je m’accroche à toi. Je me cramponne à toi. Mais je suis trop petite. Je suis trop petite et on t’enlève à moi. Ils t’enlèvent à moi, ces immondes adorateurs de poissons. Ils t’arrachent à mes bras, ces sales mangeurs de chiens. Et je hurle comme je n’ai jamais hurlé. Je hurle comme je n’ai jamais hurlé contre ma mère même en plein cœur d’une dispute, parce que toujours tu étais à mes côtés pour me calmer. Je hurle comme je n’ai jamais hurlé pour m’extirper d’un cauchemar, parce que toujours tu m’en as protégée. Je hurle quand leur lame s’enfonce dans ton cou. Ton cou toujours orné de mon ruban qui t’a tué. Je hurle quand ton pelage rougit. Je hurle trop fort pour entendre le bruit que fait ta tête en tombant sur le sol. Je hurle encore quand on m’abandonne recroquevillée sur le cadavre de mon chien décapité. Je hurle le visage dans ta fourrure souillée.

Je ne hurle plus quand mes parents rentrent des champs. J’ai fini de hurler.
La porte fracassée.
Mes cils collés.
Le sel sur mes joues rougies.
La cendre sur mon crâne.
Mon crâne rasé.
Tout mon corps rasé.
Le duvet qui s’épaississait entre mes cuisses pour annoncer que je serais bientôt nubile, je l’ai rasé. Ma chevelure, je l’ai rasée. Tout mon corps, rasé, comme le rasoir t’a tranché la gorge, comme la mort t’a volé ta fourrure.
Ta fourrure, je l’ai gardée.
Ta fourrure, je la garderai toujours. Elle sera la mienne désormais.

C’est ce jour-là que j’ai grandi.
On n’entre pas dans l’âge adulte. On y tombe. On ne s’en relève jamais.
Ce n’est pas le sang qu’un jour j’ai trouvé dans ma culotte, ce n’est pas le changement de mon corps, ce n’est pas le changement de ma voix qui m’a transformée. C’est ton sang à toi, c’est la perte de ton corps, c’est la perte de toi. Et avec ta perte c’est mon monde qui s’est écroulé.

C’est ce jour-là que j’ai grandi, quand j’ai compris que les poissons que nous mangions ici étaient des dieux dans le village d’à côté. Quand j’ai compris que les chiens qui étaient nos dieux étaient mangés dans le village d’à côté.

Quand j’ai compris que dans d’autres villages on avait d’autres dieux.
Quand j’ai compris que dans d’autres villages on mangeait du poisson et du chien.
Quand j’ai compris que dans d’autres villages on n’avait pas de dieux.

C’est ce jour-là que je suis partie.

La maison était devenue trop vide. La maison était pleine de ton absence. La maison était pleine de ta mort. Le village entier résonnait encore de votre mort. Et nos hommes aiguisaient déjà leurs couteaux pour aller vous venger. J’ai compris qu’il y aurait toujours des dieux ou des chiens à tuer.
C’est ce jour-là que j’ai quitté mes parents et ma religion.

J’ai voulu grandir, à force. J’ai voulu m’endurcir. Ma mère disait : une bonne bibliothèque est le trésor des remèdes de l’âme. Je suis partie à Alexandrie et j’ai vu les rouleaux. Tous les savoirs du monde empilés les uns sur les autres. Je voulais tout manger. Je voulais tout comprendre. Mais les savoirs du monde se marchent sur les pieds. Ce qu’un livre dit, un autre peut le nier. Dans un livre la tortue aquatique est un animal inoffensif. Elle est responsable de la sècheresse dans un autre. Dans un autre elle est responsable de la crue du Nil. Elle est un symbole du mal dans un dernier. Je lis tout ça et je comprends. Je comprends que les livres ne sont que des humains comme les autres, mais dont la folie a plus de pouvoir. Je comprends que les livres renferment plus de pouvoir que de savoir. Je comprends que pour faire changer les choses il faut changer les livres.

Embusquée. J’attends. Ça y est. Le copain a sifflé. La chaleur qui embrase mes joues n’est que la mienne encore. Accroupie dans la poussière je dégaine mon archet, ma planchette, y plante une baguette. Gire et vire et volte. La sciure s’accumule. Mes mains tremblent. La sciure s’échauffe mais ne s’enflamme pas. J’accélère le mouvement de l’archet. Je souffle. La braise vient, que je recouvre d’herbe sèche. Le copain a sifflé, une deuxième fois.
Je débouche la gourde. J’y plonge l’embout de ma flèche, recouvert de tissu. À mes pieds le tas d’herbe commence à s’enflammer. Vite, avant que nos feux soient repérés. Je passe l’anneau à mon pouce. Plonge ma flèche dans le feu. Bande mes muscles et mon arc. Le copain siffle une troisième fois.
Je lâche la corde. Je ne tremble plus. Toutes nos flèches enflammées prennent d’assaut la bibliothèque mensongère. Et on recommence. Mon corps bouge de lui-même. Dans la pénombre autour de moi, je sais sans les voir que mes compagnons exécutent les mêmes gestes que moi en même temps que moi. Ma flèche plonge dans l’alcool. Ma flèche plonge dans le feu. Comme une danse rituelle. Ma corde se tend. Le copain siffle. Toutes nos flèches lui répondent en fendant l’air. Elles y rejoignent le feu qui commence déjà à prendre. Les livres : ça brûle bien.
Et on recommence. Flèche, alcool, feu, corde, sifflement. Et on recommence. Ça hurle autour de moi je crois, ça court, ça fuit, ça se débat. Et on recommence. Et on recommence. Grisée. Vivante. Victorieuse. Et on recommence. Je n’aurai pas vengé ta mort. Je n’aurai pas cherché à te venger.
J’ai voulu que ta mort ne soit pas vaine mais elle l’était. Tu es mort innocent, puni d’avoir été. Tu es mort innocent, puni de n’être pas un dieu. Tu as été puni qu’il n’y ait pas de dieux.
Je ne t’ai pas vengé, j’ai châtié le coupable.

Ma mère disait : une bonne bibliothèque est le trésor des remèdes de l’âme.
Moi je dis : une bonne bibliothèque est une bibliothèque qui brûle.

Succès, reprise !

Fugue en L Mineure

Suite au succès retentissant, pour ne pas dire interplanétaire, des premières représentations, le spectacle est reprogrammé au Théâtre de Belleville.

Vous pouvez donc nous voir ou nous revoir du lundi 15 au dimanche 21 décembre.

Attention aux horaires : lundi et mardi à 19h, mercredi, jeudi, vendredi et samedi à 21h15, dimanche à 20h.

Pensez à réserver !


Tarif plein : 25 €
Tarif réduit ( – de 30 ans, + de 65 ans, étudiant•es, chômeur•euses, enseignant•es, professionnel•les du spectacle ) : 15 €
Tarif jeune ( – de 26 ans ) : 10 €

JULIE ET LOLA 2© photo : Nicolas Drouet

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