Ce texte est le fruit d’un atelier d’écriture auquel j’ai participé avec mon amie Ségolène Liautaud. L’exercice proposé était d’écrire la suite d’un extrait des Fourberies de Scapin, à savoir :
SCAPIN : Non vraiment, vous l’avez remis dans votre poche.
GÉRONTE : Ah ! c’est la douleur qui me trouble l’esprit.
SCAPIN : Je le vois bien.
GÉRONTE : Que diable allait-il faire dans cette galère ? Ah ! maudite galère ! traître de Turc à tous les diables !
SCAPIN : Il ne peut digérer les cinq cents écus que je lui arrache ; mais il n’est pas quitte envers moi, et je veux qu’il me paye en une autre monnaie l’imposture qu’il m’a faite auprès de son fils.
Et voici la suite que nous avons imaginée…
Scapin reste seul. Jean-Théophile entre.
JEAN-THÉOPHILE. — Bravo, mon amour ! Tu as su triompher de la mesquinerie de mon raciste de père ! Plus rien désormais ne s’oppose à notre lune de miel au fil du Nil.
SCAPIN. — Cinq cents écus ne sauraient apaiser mon courroux. Je n’oublie pas que ton père et son racisme de classe ont tenté de me discréditer auprès de toi.
JEAN-THÉOPHILE. — Tranquilise-toi, mon amour, et abandonne tes projets de vengeance. (Il l’enlace.) Ne te suffit-il pas d’imaginer notre avenir commun ?
SCAPIN. — Ah, mon cher ange, ta mansuétude te perdra. Mais moi, qui n’ai pas les mêmes privilèges que toi, je dois mener à bien ce combat.
JEAN-THÉOPHILE. — Allons mon amour, quitte cet air renfrogné pour une tenue qui te sied bien mieux. (Il déboucle la ceinture de Scapin qui ne réagit pas.) Il nous faut faire preuve d’indulgence envers cet homme qui, tout pingre et raciste qu’il est, n’en demeure pas moins mon père. (Il empoigne le braquemart de Scapin et se l’enfourne goulûment dans le gosier.)
SCAPIN. — Ah, mon cher et tendre, tu ne crois pas si bien dire ! C’est bien justement de cela que je voulais… Ah ! Attends, laisse-moi finir ! C’est bien justement de cela que je voulais… AAAAAHHHHH !
Géronte entre.
GÉRONTE. — Oh mon dieu !
JEAN-THÉOPHILE. — Oh mon dieu !
SCAPIN. — Oui, c’est ce que j’allais dire.
GÉRONTE. — Arrière, infâme créature sodomite ! Retire tes sales pattes de mon enfant !
SCAPIN. — Croyez m’en, ce n’est plus un enfant.
GÉRONTE. — Silence, suppôt de Satan ! Tu ne souilleras point notre lignée !
JEAN-THÉOPHILE. — Assez, père ! Ne parlez pas de souillure quand il s’agit d’amour.
GÉRONTE. — Jean-Théophile, tu ne sais pas ce que tu dis ! La perversité de ce serviteur t’a fait perdre la tête !
JEAN-THÉOPHILE. — Oui, j’ai perdu la tête ! J’ai perdu la tête pour lui et je lui ai donné mon cœur.
GÉRONTE. — Ah ! C’est mon cœur à moi qui saigne de voir mon fils unique se rouler ainsi dans la fange.
SCAPIN. — Apaisez-vous, Monseigneur, car la situation n’est pas telle qu’elle vous semble.
GÉRONTE. — Que dis-tu là, oiseau de malheur ?
SCAPIN. — N’avez-vous donc jamais remarqué comme le teint hâlé de Jean-Théophile et ses boucles d’ébène ressemblent curieusement à celles de votre voisin ?
GÉRONTE. — Comment ! Le vendeur de kébab !
JEAN-THÉOPHILE. — Père ! Je t’ai déjà dit cent fois qu’il n’était pas vendeur de kébab mais patron d’un restaurant gastronomique.
SCAPIN. — Hé oui, vil xénophobe, il était temps que vous sachiez la vérité quant à votre femme et à celui que vous appeliez votre fils.
GÉRONTE. — Ah ! Qu’ouïs-je ? Qu’entends-je ? Que comprends-je ?
SCAPIN. — Vous comprenez fort bien ! Tandis que toute votre vie durant, vous crachiez votre venin sur les Turcs, vous en éleviez un au sein même de votre foyer !
GÉRONTE. — Re blow maplz na !
JEAN-THÉOPHILE. — Père, que dites-vous ? Vos paroles n’ont aucun sens !
SCAPIN. — Et ainsi vous n’avez aucun droit sur Jean-Théophile ! Rien ne s’opposera à notre amour ! Vous êtes impuissant, si vous ne l’étiez pas auparavant.
JEAN-THÉOPHILE. — L’expression de son visage est déformée ! Et si c’était un AVC ?
GÉRONTE. — Re blow maplz na ! (Il choit.)
JEAN-THÉOPHILE. — Papa ! Qu’avons-nous fait ? Notre amour a eu raison de son cœur !
SCAPIN. — Non, Jean-Théophile. Ce n’est pas notre amour qui a brisé son cœur de pierre. C’est sa haine à lui qui l’a consumé.
JEAN-THÉOPHILE. — Mon cher cœur, tu as raison. Quel dommage seulement que je ne sois pas vraiment son fils et qu’ainsi son héritage nous échappe.
SCAPIN. — Réjouis-toi, mon tendre amour, car tout ceci n’était que pure invention destinée à me venger de ce gros con.
JEAN-THÉOPHILE. — Oh mon chéri ! Comme tu es intelligent ! Ainsi donc notre noce sera des plus somptueuses.
SCAPIN. — Oui, Jean-Théophile : tout est bien qui finit bien.
Ils s’éloignent bras dessus bras dessous en riant et gambadant, tandis que le rideau tombe lentement sur le cadavre de Géronte.